mardi 11 mars 2014

Fukushima : 3ème anniversaire

 Quand tirera-t-on, en France, tous les enseignements 
de ce drame qui va se perpétuer ?

"Ils ont des yeux et ils ne voient pas
Ils ont des oreilles et ils n'entendent pas".
L'article ci-dessous est "le minimum" de ce qu'il faut savoir... 

Il faut saluer bien bas l'effort collectif inouï que poursuivent depuis trois ans les maires, les autorités sanitaires, les services de l'Etat, les professions agricoles, les ingénieurs et la plupart des résidents de la préfecture de Fukushima. A la question de savoir si nous ferions aussi bien que les Japonais en cas de crise similaire sur notre sol, bien malin qui peut répondre avec assurance. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN (l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), doute fortement de la capacité de services de l'Etat à se mettre en ordre pour faire face à un accident nucléaire majeur

Au Japon, on assiste depuis trois ans à une mobilisation de guerre. Toutes les forces civiles, politiques, économiques sont à pied d'œuvre sur ce front nord de l'archipel. Et toutes sont financées à fonds perdus par l'Etat nippon qui ne cesse de renflouer la désagrégation financière de Tepco, l'EDF japonais. Le chantier est énorme. Il faut :
  • indemniser les 170.000 évacués
  • nationaliser des terres
  • payer un surcoût de l'électricité industrielle de 15% à 20%
  • rehausser le niveau de sûreté sur les autres centrales en construisant de véritables fortifications médiévales en béton autour des sites
  • décontaminer les champs en recrutant des milliers d'hommes de long en large de l'archipel
  • mener des études épidémiologiques d'une ampleur inédite sur deux millions de personnes dont 360.000 enfants pendant 30 ans
  • importer sans compter du gaz et du pétrole pour suppléer à l'arrêt complet de toutes les centrales nucléaires depuis trois ans
  • continuer les travaux de démantèlement de la centrale, elle-même qui fuit de partout

Des travaux d'Hercule

Un chantier pharaonique qui n'en est qu'à ses débuts. Que faire des eaux encore contaminées au tritium qui s'accumulent dans les containers rouillés du site ? Comment empêcher les fuites souterraines à proximité du corium qu'il faut arroser en permanence pour le refroidir ? Comment éviter la radioactivité extrême des sédiments marins et la contamination de la chaîne alimentaire marine ?

Des travaux d'Hercule dont on imagine mal l'ampleur mais également le terme. Car la décontamination, centimètre carré par centimètre carré des terres agricoles des parcs et jardins, des toits, des gouttières, des cours de récréation, des égouts, sur une centaine de kilomètres carrés est un exercice aussi minutieux qu'interminable et imparfait. L'objectif officiel d'une exposition qui ne dépasse pas un millisievert (l'unité de mesure des effets des radiations) pour irréaliste qu'elle fut à l'origine ne sera jamais tenue. Ce qui provoque d'ailleurs l'incompréhension des populations. 

Songez que les arboriculteurs du nord de la zone de Fukushima ont dû décontaminer arbre par arbre et feuille par feuille, au Karcher, le césium déposé sur les plaqueminiers (les arbres à kakis). Partout, on trouve des "Big Bags" remplis d'herbe, de terre et de feuilles contaminées (sur une vallée entière !) qui devront être transportés un jour vers un site ultime immense de débris radioactifs. Ce devait être en début d'année mais on en est loin. 

Personne ne connaît les retombées pathologiques

Pour les forêts touchées par le panache (415 km2), il n'y a rien à faire. Ces massifs sont comme à Tchernobyl : laissés à leur sort. Impossible ici de scalper et de décaper le sol imbibé de radionucléides. Il faudrait déforester, retourner le sol et provoquer une catastrophe écologique majeure. C'est d'autant plus risqué, que le sol contaminé ne serait plus fixé par la végétation. Il dévalerait les pentes vers les rivières au moindre orage. C'est rassurant pour l'esprit mais c'est aller bien vite en besogne de considérer que le retour des 170.000 personnes déplacées est engagé.

Ni la zone rouge ni la zone orange n'est accessible, pour une période indéterminée, qui pourrait bien être séculaire tant les radiations sont fortes (au dessus de 20 voir 50 millisieverts). Seule la zone dite verte (cela représente 11 communes) qui est exposée à des radiations de moins de 20 millisieverts, devrait bénéficier d'une autorisation progressive de retour permanent. 

Reste à savoir qui reviendra sur ces terres dévaluées, dans ces maisons fantômes et dans ces zones commerciales à moitié en ruine. Des personnes âgées répondront sans doute à l'appel, mais on peut douter que des jeunes, des couples et des familles courent le risque d'un retour. D'autant que personne ne connait encore les retombées pathologiques, notamment sur la thyroïde des personnes exposées. A Tchernobyl, la maladie s'est révélée quatre à cinq ans plus tard.

Loin des yeux, l'effroi est moins radioactif


Non, Fukushima ne reviendra pas de sitôt à la situation qui prévalait avant l'accident. Le césium a une demie vie de trente ans et il faudra un bon siècle et demi pour que les radiations cessent d'être une menace pour le retour à une  vie "comme avant". Personne n'est dupe à Fukushima : il n'y a pas de retour possible au statu quo ante. Il va falloir vivre avec les risques nouveaux, les points chauds, les contrôles médicaux, les contrôles radioactifs permanents sur les fruits, les légumes, le riz, les nappes, les cours d'eau…

La sûreté nucléaire aussi a dû réviser tous les fondamentaux (noyaux durs, force d'intervention rapide …) au Japon. Mais aussi en France et dans toute l'Europe, à l'initiative de l'IRSN et de l'ASN (l'autorité de sûreté nucléaire). Même les énormes sottises formulées par Eric Besson, le Ministre de l'énergie de l'époque, seraient, on l'espère, impossibles aujourd'hui. Encore que, rares ont été les protagonistes de la politique énergétique française à faire comme lui le voyage de Fukushima. Henri Proglio, PDG d'EDF et partisan d'un allongement de la vie de nos propres centrales de 40 à 60 ans (voire d'avantage) n'y est lui jamais allé.

Pratiquement aucun de nos hommes et de nos femmes politiques, qui dirigent un pays dont 75% de l'électricité est d'origine nucléaire (ce qui n'existe nulle part ailleurs), n'a fait le voyage. Quasiment aucun n'a parcouru la zone avec un compteur Geiger (l'outil qui sert à mesurer un grand nombre de rayonnements ionisants) qui couine en permanence. Voir de loin ou s'informer sur fiche, c'est tellement plus simple. C'est tellement plus efficace pour garder la tête froide à l'heure des choix. Au fait, la loi sur la nouvelle politique énergétique de la France doit être bouclée avant Noël 2014.

Guillaume Malaurie - Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20140311.OBS9209/la-gestion-post-fukushima-une-prouesse-japonaise.html 

jeudi 26 décembre 2013

La gestion du nucléaire est incompatible avec la démocratie

Voila ce qui attend les "démocraties" :

les citoyens ne peuvent tout savoir ;

 c'est trop dangereux pour les pouvoirs.

On ne peut que contribuer à la diffusion de telles informations !

La loi du secret, adoptée dernièrement par le Parlement japonais, donne au gouvernement carte blanche pour désigner des secrets d’État et restreindre l’information sur tout sujet à sa convenance. Les blogueurs et les journalistes indépendants diffusant des informations sur Fukushima vont-ils subir des pressions dans un avenir proche ?

Saul Takahashi, avocat japonais spécialisé dans les droits de l’homme, expose dans cet article ses inquiétudes face à la montée en puissance de pratiques qui rappellent des années sombres.



La répression du « secret » dans l’après-Fukushima au Japon


Saul Takahashi

Le 10 décembre 2013
Titre original : « Japan's post-Fukushima 'secrecy' clampdown »
Source en anglais : The Ecologist
Traduction : Javale Gola
Source : Groupe Facebook Fukushima Information
La possibilité de désigner toutes sortes d’informations « au secret » est quasi infinie.

La nouvelle loi japonaise du secret est un nouveau signe de la montée du militarisme dans le pays, car elle élargit le pouvoir du gouvernement en lui donnant la capacité de qualifier des secrets d’Etat, tandis que la belligérance est en progression dans la région. Faut-il encore et toujours le répéter, le peuple du Japon est bien obligé de constater une fois de plus combien le gouvernement peut être dissimulateur et arbitraire suite à la catastrophe de Fukushima. En raison des lenteurs du gouvernement et de sa répugnance à divulguer les informations, les gens sont restés exposés à de fortes doses de radioactivité durant plus d’un mois après la fusion, avec des conséquences sur la santé potentiellement graves.  Il est clair à présent que l’aile du gouvernement la plus à droite qu’on ait vue depuis des décennies, a fait passer en force au Parlement un projet de loi pour classifier « des secrets spéciaux », qui donne essentiellement carte blanche à l’exécutif pour censurer les informations à très grande échelle, ce qu’on n’avait plus revu depuis l’époque militariste qui avait conduit à la Seconde Guerre mondiale et qui s’était prolongée tout au long de cette période.

Cette loi, connue sous l’appellation de Loi des Secrets Désignés, est passée en force à la Chambre basse suffisamment puissante le 26 novembre, puis elle a été votée à la Chambre haute le 6 décembre dans la même précipitation. Elle donne à l’exécutif le pouvoir sans restriction de désigner une large gamme d’informations comme des secrets de la Nation. Il n’y a pas de contre-pouvoir efficace d’aucun organisme indépendant, ni vraiment le moyen de s’assurer que l’exécutif n’exerce aucun abus de pouvoir. C’est une indication des plus sommaires sur les renseignements désignés secrets, qui sera divulguée au public. Ce projet de loi violerait le droit du droit des populations d’avoir accès à l’information, punirait sévèrement les lanceurs d’alerte, porterait atteinte à la liberté de la presse et aurait des effets dissuasifs à l’égard des organisations de la société civile et des actions des citoyens engagés.

Le gouvernement a répété de façon litanique : la loi est nécessaire, parce que le Japon est « un paradis pour les espions » en raison de l’absence d’une infrastructure légale pour l’espionnage et les secrets d’état. On voudrait faire croire à la population que le gouvernement n’a pas le pouvoir de préserver la confidentialité des renseignements et que Tokyo serait rempli d’agents de l’étranger qui s’empareraient en toute licence de secrets sensibles. Rien n’est moins vrai – le gouvernement désigne déjà une vaste gamme d’informations comme confidentielles – 410 000 pièces d’informations ont été désignées comme telles depuis qu’une politique gouvernementale de balayage a été mise en œuvre à cet effet en 2009. En outre, en réponse à une question posée au Parlement, le Premier Ministre Abe a reconnu que le gouvernement a été informé de 5 cas de « fuites d’informations importantes de la part de fonctionnaires » au cours des 15 dernières années. 5 cas en 15 ans peuvent difficilement constituer « un paradis ».

La vérité, et le gouvernement lui-même l’a reconnu, c’est que cette loi est intrinsèquement liée à une autre loi adoptée par le Parlement en novembre, établissant un Conseil National de la Sécurité qui ressemble beaucoup à l’organisme américain du même nom. En fait, la loi des secrets stipule précisément le partage de secrets désignés avec des gouvernements étrangers, apparemment plus dignes de confiance que le peuple-même du Japon.


Une infraction constitutionnelle.

Quatre catégories d’informations répertoriées dans le projet de loi pourraient potentiellement être concernées par le secret : la défense, la diplomatie, « les activités désignées comme dangereuses » et la prévention du terrorisme, mais elles sont dénommées par une formulation extrêmement large. C’est ainsi que toute information liée à la défense pourrait qualifier aussi bien « toute information importante relative à la sécurité » dans le domaine des relations internationales, que toute information relative à la lutte officielle contre le terrorisme, ou encore toute information relative « aux activités potentiellement nuisibles à la sécurité nationale ». La possibilité de verser des informations spécifiques au « secret » est en définitive sans limitation aucune. Bien que l’amendement au projet stipule une durée de principe de 60 ans (ce qui est en soi déjà extrêmement long) il y a par ailleurs des catégories d’informations qu’on peut désigner au secret sans durée limite – ce qui revient au même.

Le rôle du Parlement est extrêmement limité,  à tel point qu’il sera probablement vide de sens.

Le projet stipule que dans l’application de la loi, le gouvernement devrait « entièrement tenir compte » des rapports de presse « qui ont pour but de garantir le droit des gens à l’information ».  Ces dispositions sont à tout le moins « vagues » et semblent laisser au gouvernement une marge de manœuvre pour apprécier quel rapport « a pour but de garantir » ce droit. Mais les sanctions pour la révélation de secrets sont sévères – jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour les fonctionnaires ou les sous-traitants livrant des secrets. Les personnes obtenant illégalement communication de secrets sont également sujettes à des peines de plus de dix ans d’emprisonnement, et celles qui « inciteraient » à leur révélation sont passibles de peines allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. On serait aussi passible d’emprisonnement pour avoir révélé des secrets par négligence, de même qu’en cas d’«incitation » ou de conspiration dans l’intention d’en révéler.

Il est important de souligner que la liberté d’information est non seulement un élément capital de la liberté d’expression, mais aussi un droit de l’homme fondamental inscrit dans la Constitution japonaise. L’Article 21  stipule que « la liberté[…] de parole, celle de la presse ainsi que toutes les autres formes d’expression sont garanties », et cet article, en conformité avec les développements du droit international, a été interprété par les tribunaux japonais de façon à inclure le droit d’accès à l’information. Ce même article rappelle également que le gouvernement est tenu de « s’abstenir de violer les droits fondamentaux de l’homme au-delà du raisonnable» dans l’application de la loi, ce qui, dans le nouveau contexte, pose la question de savoir ce que recouvre « au-delà du raisonnable ». Pire encore, l’Article 21 établit que les comptes-rendus des medias ne doivent pas faire l’objet de sanctions « dans la mesure où leurs communications auraient pour seule fin l’intérêt public et ne s’appuieraient pas sur des méthodes illégales ou à l’évidence déloyales ». Or, il n’existe aucune définition de « l’intérêt public » dans ce contexte, pas la moindre indication de la façon dont le gouvernement pourrait en attester. Le gouvernement a de même stipulé que les quelques blogueurs ou autres activistes des réseaux sociaux ne tombent pas sous la définition des « media » entendue dans cet article, en indiquant de ce fait que les susdits pathétiques garde-fous ne devront pas leur être appliqués.

Comme on l’imagine sans peine, ce projet de loi a déclenché un intense tollé dans la sphère publique avec l’expression de protestations quasi-quotidiennes et a essuyé la critique des Organisations de défense des droits de l’homme, au nombre desquelles l’Association du Barreau Japonais, de la part aussi d’éminents députés honoraires du Parti Conservateur, des Sociétés Savantes, des Sociétés de la Presse ainsi que des Conseils préfectoraux et des Conseils municipaux. Fait tout à fait inhabituel pour un pays qui d’ordinaire échappe à l’analyse internationale, le projet fut également l’objet de vives critiques de la part des défenseurs des droits de l’homme aux Nations-Unies. Au Conseil des Nations-Unies pour les Droits de l’Homme, le Rapporteur Spécial  sur la Liberté d’Expression et le Rapporteur Spécial sur le Droit à la Santé ont publié une déclaration conjointe critiquant les dispositions trop larges du projet de loi et le manque de protection des informateurs. Le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme a partagé cette préoccupation.

Les réponses du gouvernement à ces problèmes ont brillé par leur caractère évasif, flou, et la mentalité condescendante du « taisez-vous et faites-nous confiance » _ en vérité, le fait que le gouvernement n’ait ouvert le projet de loi que deux semaines aux commentaires publics, au lieu d’un mois plein comme c’est l’usage, témoigne du mépris dans lequel il tient les points de vue en désaccord avec les siens. Une ONG a déposé la requête des minutes des comptes-rendus des réunions du groupe d’experts gouvernementaux qui avaient débattu des dispositions du projet _ lesquelles minutes remontent à l’année 2008. En insulte à la notion de responsabilité gouvernementale, les documents remis à l’ONG étaient presque complètement expurgés, c’est-à-dire censurés.


Un nouvel effet paralysant.

Pour faire une réponse éloquente à la question des suites qui seraient données à « un reportage à l’évidence déraisonnable», la Ministre Masako Mori, la membre du Cabinet missionnée par le Premier Ministre Abe pour porter le projet au Parlement, sans autre raison qu’une femme face aux caméras permet de donner du projet une image lénifiante, a cité pour illustration la tristement célèbre affaire Nishiyama en 1972.

Takichi Nishiyama, un ancien journaliste du grand journal japonais Mainichi Shimbun, fut arrêté pour avoir obtenu des informations de la part d’un secrétaire au Ministère des Affaires Etrangères Japonais (avec qui, l’apprit-on par la suite, il avait eu une liaison) à propos d’un accord secret entre les Etats-Unis et le Japon, relatif au retour d’Okinawa sous la souveraineté japonaise. Bien que l’accord publié par les deux gouvernements eût stipulé que certaines dépenses pour un  montant total de 4 millions de dollars US seraient payées par les Etats-Unis, ce fut un pur mensonge,  un accord secret précisa de fait que les coûts seraient payés par les Japonais. Pour les efforts qu’il a déployés à exposer au gouvernement la déception de son peuple, Nishiyama fut déclaré en 1978 coupable d’incitation à la révélation de renseignements confidentiels de la part d’un fonctionnaire. 30 ans plus tard, des documents déclassifiés du gouvernement américain confirmèrent les allégations de Nishiyama – or, son nom est dorénavant cité par le gouvernement comme un bon exemple de « mauvais » journalisme.

Fait révélateur, Mori a déclaré que les questions faisant l’objet d’un vif débat public, tel l’accord économique pour le Partenariat Transpacifique (TPP) actuellement en cours de négociation à huis clos entre les Etats-Unis et d’autres pays, pourraient être désignées au secret. Et les garanties présentées par le gouvernement n’ont pas suffi à apaiser les inquiétudes, du fait qu’avec dans le projet de loi des dispositions aussi larges, des informations importantes concernant la sécurité nucléaire pourraient aussi bien être désignées au secret.

Le plus important sans doute dans tout cela, c’est l’effet d’intimidation qu’aurait cette loi sur des personnes qui auraient accès à quelque sorte d’information que ce soit, ou qui en publieraient. En raison d’une formulation opaque de la loi, les gens ne peuvent pas être en mesure de savoir si une information à laquelle ils accèdent ou qu’ils rendraient publique est susceptible d’être de fait un secret désigné. L’Association du Barreau Japonais fait observer qu’aux termes des dispositions du projet de loi, il est tout-à-fait plausible d’être accusé et poursuivi en justice sans que ni la personne ni son avocat ne soient informés des renseignements précis qu’elle serait accusée d’avoir révélés. Il n’est dès lors pas surprenant que les déclarations du gouvernement, assurant que ne seraient pas punis des individus tombant sur des secrets ou en révélant par accident, ne soient pas convaincantes -  et tout indique que même dans l’hypothèse où elles ne seraient pas punies, ces personnes feraient l’objet d’une enquête.

Tôt dans la matinée du 5 décembre, en réponse à la pression, le gouvernement a fait cette annonce qu’il allait créer deux  organismes « indépendants » pour veiller à la mise en œuvre de la loi en garantissant qu’il n’y ait aucun abus. Mais l’un seulement de ces deux organes est véritablement indépendant – c’est un groupe d’experts juridiques qui aura une mission de conseil auprès du Premier Ministre, étant chargé d’élaborer des lignes directrices pour la désignation des secrets, et qui sera destinataire d’un rapport annuel sur la mise en application de cette loi. Il semble par ailleurs que le Premier Ministre ne fournirait à ce groupe d’experts qu’un vague aperçu du nombre d’informations désignées comme secrètes, par catégories. Au-delà de ce point, les choses ne sont pas claires en ce qui concerne le fonctionnement de cet organisme, on ignore aussi l’étendue réelle de ses compétences. Ce serait un jeu d’enfant pour le gouvernement de désigner un panel composé de ses copains, qui avaliseraient sans discussion telle ou telle proposition.

Prétendre que le second organisme serait « indépendant » est une offense à l’intelligence. Ce « Comité de Surveillance pour la Conservation des Renseignements » sera en charge de veiller à l’application de la loi en s’assurant qu’il n’y ait pas d’abus, et c’est sans conteste le plus puissant des deux organismes. Quoi qu’il en soit, il sera composé de secrétaires-adjoints (haut-fonctionnaires du plus haut rang) issus des Ministères des Affaires Etrangères et de la Défense – à savoir les Ministères qui désigneront sans aucun doute le plus grand nombre de secrets. Sans surprise, personne au Japon n’attend de la part de cet organisme aucun contrôle sérieux.

De nombreux opposants au projet de loi ont souligné qu’il y a dans les termes de cette loi des libellés strictement similaires à ceux qui remontent aux années sombres, en particulier dans l’infâme Loi pour la Défense de la Sécurité Publique de 1941, à laquelle le gouvernement eut recours pour jeter en prison les opposants à l’effort de guerre. L’expérience issue de ces années-là fait craindre aux Japonais que  les secrets gouvernementaux ne conduisent à des secrets plus nombreux encore de la part du gouvernement, et puis à la guerre.

Pour reprendre un adage employé souvent par la génération issue des années Trente pour décrire la nature insidieuse du militarisme : comme il se rapproche…le bruit des bottes !…

_______________________________

Saul Takahashi est un avocat japonais spécialisé dans les droits de l’homme et un activiste qui a débuté sa carrière auprès d’Amnesty International à Tokyo. Il a obtenu sa maîtrise en droit à l’Université d’ Essex, et travaille actuellement dans la Palestine occupée. Takahashi est l’éditeur [auteur ?] de « Human Rights, Human Security and State Security: the Intersection », un ouvrage qui sera publié par Praeger Security International en 2014.

Cet article a été publié à l’origine par Open Democracy sous le titre Japan’s designated secrets bill – the sound of the jackboots [Le projet de loi au Japon sur les secrets désignés – le bruit des bottes], sous licence d’Attribution Non Commerciale 3.0


samedi 30 novembre 2013

L'Iran rejoint les États qui ne sont pas sûrs.

L'Iran n'est plus un "État voyou". Il ne l'est pas davantage, désormais, que les pays dotés d'armes nucléaires qui lui refusaient d'avoir une industrie nucléaire parce qu'il pouvait construire des bombes atomiques ! Un article paru dans Il Manifesto fait le point. Jusques à quand vivrons-nous dans une hypocrisie géante étendue à l'échelle planétaire ?
 Voilà « le monde plus sûr »


Par Manlio Dinucci
Édition de mardi 26 novembre 2013 de Il manifesto

Enfin « s’est ouverte la route vers un monde plus sûr, un avenir dans lequel nous pouvons vérifier que le programme nucléaire de l’Iran soit pacifique et que celui-ci ne puisse pas construire une arme nucléaire »

La bonne nouvelle est annoncée, un mois avant Noël, par le président Obama, Prix Nobel de la paix qui vient de rendre le monde plus sûr en ordonnant de potentialiser les centaines de bombes nucléaires que les États-Unis maintiennent en Europe : les B61-11 sont transformées en B61-12, qui peuvent être utilisées aussi comme bombes anti-bunker dans une first strike nucléaire.

Ceci entre dans la « carte routière » de l’administration Obama pour garder la suprématie nucléaire des États-Unis. Ils disposent d’environ 2150 têtes nucléaires postées, c’est-à-dire prêtes au lancement par missiles et bombardiers, plus 2500 autres stockées dans des dépôts et rapidement activables, auxquelles s’ajoutent plus de 3000 autres retirées mais non démantelées et donc réutilisables : au total environ 8000 têtes nucléaires.

L’arsenal de la Russie est analogue, mais celle-ci a moins de têtes prêtes au lancement, 1800 environ. Le nouveau traité Start entre États-Unis et Russie ne limite pas le nombre des têtes nucléaires opérationnelles dans les deux arsenaux, mais seulement celles qui sont prêtes au lancement sur des vecteurs stratégiques avec une portée supérieure à 5500 Kms : le toit est établi à 1550 de chaque côté, mais il est en réalité supérieur car chaque bombardier lourd est compté comme une seule tête même s’il en transporte vingt ou davantage. Le traité laisse ouverte la possibilité de potentialiser qualitativement les forces nucléaires. À cet effet, les États-Unis sont en train d’installer en Europe un « bouclier » anti-missiles, officiellement pour neutraliser une attaque iranienne (impossible au stade actuel), en réalité pour obtenir un avantage stratégique sur la Russie, laquelle est en train de prendre des contre-mesures. En plus de celles des États-Unis, l’OTAN dispose d’environ 300 têtes nucléaires françaises et 225 britanniques, quasiment toutes prêtes au lancement.

Israël – qui constitue l’unique puissance nucléaire au Moyen-Orient et, à la différence de l’Iran, n’adhère pas au Traité de non-prolifération – possède selon les estimations de 100 à 300 têtes avec leurs vecteurs et produit suffisamment de plutonium pour fabriquer chaque année entre 10 et 15 bombes du type de celle de Nagasaki ; il produit aussi du tritium, un gaz radioactif avec lequel on fabrique des têtes neutroniques, qui provoquent une contamination radioactive moins grande mais une plus haute létalité.

En même temps s’accroît la confrontation nucléaire Asie/Pacifique, où les Etats-Unis sont en train d’effectuer une escalade militaire. La Chine possède un arsenal nucléaire, estimé à environ 250 têtes, et environ 60 missiles balistiques intercontinentaux. L’Inde possède environ 110 têtes nucléaires ; le Pakistan 120, la Corée du nord probablement quelques têtes. En plus des neuf pays possédant des armes nucléaires, 40 autres au moins sont en mesure de les construire. En fait, il n’existe pas une séparation nette entre utilisation civile et utilisation militaire de l’énergie nucléaire et, par les réacteurs, on obtient de l’uranium hautement enrichi et du plutonium adaptés à la fabrication d’armes nucléaires. On calcule qu’il s’en est accumulé dans le monde une quantité telle qu’on peut fabriquer plus de 100 000 armes nucléaires, et on continue à en produire des quantités croissantes : il y a plus de 130 réacteurs nucléaires « civils » qui produisent de l’uranium hautement enrichi, adapté à la fabrication d’armes nucléaires.

Voilà quel est le monde qui « devient plus sûr » parce que les 5 plus grandes puissances nucléaires, plus l’Allemagne (qui a fourni à Israël les sous-marins d’attaque nucléaire), ont conclu l’accord selon lequel « le programme nucléaire iranien sera exclusivement pacifique ».

http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20131126/m...

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

mardi 19 novembre 2013

La 5e République et la pérennité du nucléaire militaire


https://pbs.twimg.com/media/BHTr1EOCEAEeZuk.jpg:large


Véronique Fouillouse, présidente de la C6R de Saône et Loire, était présente au café citoyen qui s’est tenu le 30 septembre dernier à Montpellier. Elle en fait un retour sous la  forme d'un compte-rendu très synthétique. Il mérite la lecture.
http://www.c6r.org/spip.php?article1155

Sur la question syrienne, contrairement aux députés britanniques qui ont voté non et au Congrès américain habilité à le faire depuis le « world power act » passé sous Reagan, le parlement français ne pouvait pas être consulté, car la constitution de la 5e république le lui interdit. Le président décide seul. C’est une conception monarchique et absolutiste qui ne date pas de la constitution de 1958, mais plus tard de l’arme nucléaire en 1964 sous la présidence du Général de Gaulle

Article 21 de la constitution : « le premier ministre est responsable de la défense nationale »
Article 20 : « le président dispose de la force armée »
Article 15 : « le président est le chef des armées ».
Le décret du Général de Gaulle du 14 mai 1964 charge le président de la république de la force nucléaire.
Sous Valéry Giscard d’Estaing elle est étendue à toutes les forces stratégiques.
Avant d’être président François Mitterrand était contre, mais deux ans après son élection, le 16 novembre 1983, il déclare : « l’intervention de la force de frappe relève de la décision d’un seul, le chef de l’Etat, c’est moi ».

C’est absolument unique au monde ! Et pourtant l’arme nucléaire coûte un maximum. Quand en discute-t-on en France ? Le débat parlementaire n’a jamais eu lieu.
En 2008, Nicolas Sarkozy a révisé la constitution.
Article 35 révisé : la déclaration de guerre n’existe plus, un débat à l’assemblée doit avoir lieu 3 jours après l’intervention militaire, mais sans vote du parlement.
Article 50 révisé : le gouvernement peut prendre l’initiative de provoquer un débat et un vote, 4 mois après le début de l’intervention, mais sans engager sa responsabilité !
Article 49 révisé : le président est conseillé par un comité à huis clos de 16 personnes, mais il décide seul.

De toute façon si le gouvernement engageait sa responsabilité, il prendrait le risque d’être renversé, mais dans ce cas le président s’empresserait de dissoudre l’assemblée. On est où ? Dans une république bananière ? Droite ou gauche c’est pareil !.La démocratie est en faillite, vivement la 6e république !

Remarques : La constitution de la 6e république prévoit bien sûr de retirer au président son domaine réservé en matière de défense, c’est le premier ministre, le véritable chef de l’exécutif, qui en devient responsable devant l’assemblée nationale, comme dans toutes les autres démocraties du monde.

L’Union Européenne a les moyens d’agir, mais elle ne les utilise pas.

La constitution a été modifiée 25 fois en 55 ans, mais 24 fois par la droite et une seule fois par la gauche (réforme du quinquennat en 2002).

François Hollande n’a pas provoqué de débat sur la question institutionnelle. La commission des lois avait fait des propositions il y a un an, mais rien n’a changé.

La France est pourtant le pays des droits de l’homme, et la tradition veut qu’on débatte. Mirabeau disait en son temps que le parlement est souverain. Pourtant sur la question nucléaire, on éteint à l’avance toute délibération. Les parlementaires ne sont plus représentatifs de la société française. Il faut donc que le peuple s’empare de cette question.

Véronique Fouillouse.
veroniquefouillouse@wanadoo.fr


samedi 26 octobre 2013

Nucléaire ou démocratie : choisissons !

Peter Bradford 

http://groupes.sortirdunucleaire.org/Nucleaire-la-renaissance-a-l?origine_sujet=LI201310

Le huitième Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde (World Nuclear Industry Status Report ou WNISR) est paru en juillet dernier. Au fil des années, cette publication élaborée par des experts indépendants a acquis une vaste audience internationale. Ses chiffres et analyses sont désormais repris par de nombreux médias dans le monde.

Le rapport s’ouvre sur une préface de Peter Bradford, un ancien commissaire de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’autorité de sûreté nucléaire des États-Unis. Son constat est sévère. « L’énergie nucléaire exige la soumission, pas la transparence », écrit-il en introduction. « Pour différentes raisons, dans de nombreux pays, l’industrie nucléaire ne peut pas dire la vérité sur ses avancées, ses perspectives ou ses périls. […] L’importance cruciale du World Nuclear Industry Status Report réside dans l’étonnante persistance de cette attirance mondiale pour les promesses trompeuses du nucléaire. »

On ne saurait trop recommander à celles et ceux qui comprennent l’anglais de se reporter au rapport intégral, qui condense, en quelque 140 pages, une mine d’analyse et de chiffres sur la situation de l’industrie nucléaire dans le monde et les différents pays, les aspects économiques et financiers de cette industrie, un bilan provisoire sur Fukushima et un point sur l’évolution des renouvelables.

Le collectif avait déjà organisé une action en mars dernier au rond-point du Tricastin.
 Manifestation devant le Tricastin
Le nucléaire recule. Lentement. Le choix entre ce qu'il a rapporté et ce qu'il coûte désormais, tarde à se faire. Les risques pour les assurances sont en cours de mesure mais non publiés. Le vieillissement des centrales augmente les craintes. La fin du nucléaire est annoncée mais reste lointaine compte tenu de l'entêtement des États et des entreprises qui en dépendent encore, dont la France. Sans une inversion des opinions, à quoi travaille Sortir du nucléaire, il faudra attendre... le prochain accident majeur, de toute façon statistiquement inéluctable !

dimanche 22 septembre 2013

L'accident fatal est possible

Le quatrième des trois dispositifs de sécurité ayant fonctionné les deux bombes atomiques tombées du B52, en 1961, n'ont pas explosé. Voila qui est rassurant ! La réalité est plus tragique : les armes portées pouvaient échapper aux meilleurs contrôles. Et maintenant ? Sommes-nous à l'abri d'un accident ? Qui peut le dire ? Les discours rassurants ne convainquent guère. Bref, la sécurité la meilleure serait d'éliminer toutes les armes nucléaires. Impossible ? Impensable ? Alors continuons de jouer l'avenir de la planète à pile ou face.


Par Yona HELAOUA (http://www.france24.com/fr/20130921-etats-unis-1961-bombe-nucleaire)
Et si New York et Washington avaient été rayés de la carte ? D’après les révélations exclusives du "Guardian" vendredi 20 septembre, une bombe à hydrogène (bombe H), 260 fois plus puissante que celle qui a touché Hiroshima en 1945, a bien failli exploser à Goldsboro, en Caroline du Nord, le 23 janvier 1961 – soit trois jours après le discours inaugural du président John F. Kennedy.

Le "Guardian" s’appuie sur un document secret de l’armée de l’air américaine, obtenu par le journaliste d’investigation Eric Schlosser, en vertu de la loi sur la liberté d’information. D’après ce document, rédigé le 22 octobre 1969, soit huit ans après les faits, un bombardier de l’US Air Force, transportant deux bombes H de type Mark 39 et qui survolait la côte Est, est tombé en panne en plein vol. Alors qu’il piquait du nez, l’avion a laissé échapper ses deux bombes au-dessus de Goldsboro.

Un petit interrupteur pour éviter une énorme catastrophe
L’une d’entre elles est tombée dans un pré, tandis que l’autre a terminé sa course dans les branches d’un arbre, son parachute déployé et ses mécanismes de sécurité désactivés. Seul un petit interrupteur à faible voltage a permis d’éviter la catastrophe. Si la bombe avait explosé, les villes de Washington, Baltimore, Philadelphie et de New York auraient pu être touchées par le champignon atomique, avec des millions de vie en jeu.

Le rapport, écrit par un ingénieur chargé de contrôler les mécanismes de sécurité des bombes, est intitulé "Goldsboro revisité, ou comment j’ai appris à me méfier de la bombe H". Ce titre est une référence au film de Stanley Kubrick, "Docteur Folamour", dont le titre en anglais est plus long : "Dr Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb" ("Docteur Folamour ou comment j’ai appris à arrêter de m’inquiéter et à aimer la bombe").

Le gouvernement muet
Si le pire a été évité, ce n’était apparemment ni la première ni la dernière fois qu’un tel accident se produisait. Selon le journaliste Eric Schlosser, auteur d’un ouvrage sur l’arme nucléaire, au moins 700 accidents ou incidents mettant en cause 1 250 armes nucléaires auraient été enregistrés entre 1950 et 1968. "Le gouvernement américain a constamment essayé de cacher ces informations à la population pour éviter que cela ne soulève des questions sur sa politique nucléaire, estime le journaliste. On nous a affirmé qu’il était impossible que ces armes se déclenchent par accident, alors que cette bombe-là a bien failli exploser."