samedi 29 octobre 2011

La notion de dissuasion du fort au faible porte en elle le crime

Le général Norlain n'est pas un pacifiste. Son analyse ne sera donc pas suspecte aux yeux de ceux qui craignent les simplifications idéologiques, voire les simplismes oublieux des réalités du monde. Mais c'est, précisément, la réalité qui nous rattrape et la France n'a ni les moyens ni le droit de s'enfermer dans des analyses militaires obsolètes. Le débat politique en tiendra-t-il compte en 2012 ? Cela dépend de nous.

L'arme nucléaire est inutile et coûteuse, par le général Bernard Norlain (Le Monde)

Les 11 et 12 octobre 1986, au sommet de Reykjavik, les présidents Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev évoquaient pour la première fois la possibilité d'une option zéro, c'est-à-dire l'élimination des armes nucléaires. Un quart de siècle plus tard, cette possibilité est devenue une nécessité, car l'arme nucléaire est inutile et coûteuse et elle représente un danger mortel pour notre survie. Arme de destruction massive, la bombe a permis pendant plus de cinquante ans le maintien d'une certaine stabilité dans le monde et nous a sans doute évité une nouvelle guerre. Le maintien de cet équilibre aura vu se déployer une course absurde à la parité numérique entre les deux principaux partenaires de cette dialectique de la terreur. Près de 70 000 armes nucléaires de tous types ont été ainsi produites. Le nombre de ces armes a diminué et se situe autour de 25 000, ce qui représente encore une capacité suffisante pour détruire la planète.

Mais cette puissance dévastatrice est-elle toujours adaptée au monde que nous connaissons et celui-ci obéit-il aux mêmes règles stratégiques que celles de la guerre froide ? La mondialisation, l'émergence de nouveaux acteurs stratégiques, dessinent un nouveau paysage stratégique. Il faut se débarrasser des stéréotypes idéologiques de la guerre froide. Face aux menaces du XXIe siècle, la pertinence stratégique de la dissuasion nucléaire paraît bien affaiblie.

De plus, est-ce l'arme nucléaire qui peut préserver et garantir notre statut de grande puissance ? Ne sommes-nous pas confrontés à de nouveaux défis qui réclament des réponses nouvelles, alors que notre réponse est une crispation sur un dogme, celui de la dissuasion, "garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance nationale" ? Pas un discours officiel qui ne commence par une génuflexion devant l'autel de la dissuasion en ajoutant l'inévitable mantra : "On ne peut pas désinventer le nucléaire." Mais l'autel est vide et l'on continue à dépenser des milliards alors que nos armées ont d'urgents besoins. Ce n'est plus de la stratégie mais de la théologie.

Deux études américaines récentes réalisées par des instituts indépendants ont chiffré le coût des armements nucléaires dans le monde. Selon ces études, les neuf pays nucléaires dépenseront dans les dix prochaines années 1 000 milliards de dollars (714,8 milliards d'euros) pour leurs armements nucléaires. Les Etats-Unis dépensent de 34 à 61 milliards de dollars par an, la France de 4,7 à 6 milliards de dollars suivant que l'on considère les coûts directs ou indirects. Le chiffre français officiel est de 3,5 milliards par an. De plus, ces études ne prennent pas en compte toutes les dépenses de renouvellement des armements. Comment va-t-on financer les dizaines de milliards d'euros nécessaires ?

Certes, on ne peut que saluer l'excellence technologique et industrielle à laquelle la France est parvenue, seule, et qui nous donne une place dominante dans le nucléaire et dans les secteurs industriels connexes. Certes, nous devons saluer l'efficacité, le dévouement, le courage des équipages de sous-marins nucléaires lance-engins et de bombardiers stratégiques. Mais on ne doit pas se laisser prendre au piège dans un système qui se referme sur lui-même face au monde extérieur.

Enfin, cette arme est devenue trop dangereuse pour la planète. Dangereuse, elle l'a toujours été, mais dans un monde partagé en deux blocs où deux joueurs se sont affrontés de façon plutôt rationnelle. L'efficacité de ce système a été fondée sur un petit nombre d'acteurs. Mais, dans un monde ouvert où l'apparition de nouveaux acteurs stratégiques rend les règles du jeu plus complexes et fugaces, l'arme nucléaire, après avoir joué un rôle de stabilité, devient une source d'instabilité destructrice pour la planète.

Dangereuse, elle peut l'être par accident, comme l'ont montré plusieurs cas de déclenchement de tirs par erreur dans le passé ; par un attentat terroriste, compte tenu de la dissémination de matériaux sensibles et de la diffusion de technologies rustiques ; par la prolifération. Si la prolifération a été lente puisqu'on est passé de cinq pays dotés à neuf pays nucléaires, l'apparition de nouveaux acteurs, si l'on ne fait rien, conduira, pour des raisons de sécurité, ces pays à se doter d'un armement nucléaire au titre du pouvoir égalisateur de l'atome.

Il y a donc un danger à voir l'arme nucléaire se répandre et on ne peut exclure qu'elle tombe entre les mains d'acteurs non pas irrationnels mais obéissant à leur propre rationalité. Le danger est non seulement celui de la prolifération, mais il est aussi lié à la banalisation de l'arme et cela est vrai dans le cas de la France. En effet, la doctrine, ou plutôt le dogme de la dissuasion française, a été et reste encore celui du non-emploi du nucléaire. Pour répondre à la nouvelle situation stratégique, la doctrine est ainsi passée de la dissuasion "du faible au fort" à celle "du fort au faible ou au fou". Or, comme le dit le politologue Pierre Hassner, la notion de dissuasion du fort au faible conduit à une logique d'emploi et même d'emploi en premier.

Personne ne peut dire alors quelle serait la réaction en chaîne provoquée par l'utilisation de l'arme nucléaire. Compte tenu du nombre d'armes accumulées et de leur dispersion, c'est la perspective de la destruction partielle ou totale de la planète. Pour ces raisons, il n'y a pas d'autre solution que d'éliminer ces armes. Toutes les négociations sur la diminution, sur le déploiement et la mise en alerte de ces armes sont nécessaires, mais elles ne seront effectives que dans la perspective d'un objectif d'élimination complète. Après tout, cela ne serait que la mise en oeuvre de l'article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

La France est opposée à cet objectif. Elle est de ce fait isolée dans le contexte international et européen. De plus, cette crispation stérilise la pensée stratégique française. A l'abri d'une nouvelle ligne Maginot, le fameux consensus français fait de l'arme l'horizon indépassable de notre sécurité. Au moment où doit s'engager une réflexion sur notre système de sécurité, il est temps d'ouvrir le débat en acceptant de ne plus avoir de tabous et en particulier que l'arme nucléaire n'est plus l'alpha et l'oméga de notre sécurité et que notre assurance-vie peut devenir notre assurance-décès.

(*) En 1986, le sommet soviéto-américain de Reykjavik entre Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan aboutit au traité de Washington sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), qui a pour but d'éliminer à l'échelle mondiale ce type de missiles.

Le général d'armée aérienne (2è section) Bernard Norlain préside aujourd'hui la Fondation pour les Études de Défense nationale ainsi que l'association qui édite la revue Défense nationale (http://www.defnat.com/)


lundi 10 octobre 2011

Sortir du nucléaire civil et militaire : adresse à tous les candidats de 2012

Par Jean-Pierre Dacheux

Le moment est venu de tenter de contribuer à une réflexion commune sur la nécessaire unité des luttes antinucléaires.

1 - Le lien entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire est fait. Nous avons tardé, après Tchernobyl, à le mettre en évidence. Après Fukushima, cette évidence a surgi d'elle-même. Des réticences demeurent, notamment dans le pays le plus nucléarisé de la planète : la France. Uranium, plutonium, c'est le même combustible que l'on utilise dans les centrales et dans les bombes, fut-ce avec des adaptations techniques. Ce sont les mêmes lieux de production qui fournissent la matière fissile utilisable à des fins civiles ou militaires.

2 - Le lien entre les luttes locales et les luttes globales devant aboutir à l'élimination des armements nucléaires n'est pas encore totalement établi. Il y a des raisons à cela qui ne sont pas négligeables !

Immense est la déception de ceux qui, depuis des décennies, constatent que les discours et les initiatives, qu'elles soient portées à l'ONU ou par des organismes internationaux, n'aboutissent à rien. Continuer à croire que les États dotés d'armes nucléaires vont s'entendre pour désarmer est un leurre. Pourtant, ceux qui travaillent à la prise de conscience internationale ne se sont jamais résignés, compte tenu de l'urgence et de la gravité des périls pour l'espèce humaine tout entière.

Dans les pays dotés, on se demande si le plus efficace ne serait pas d'agir État par État. En France, en particulier, une campagne pour le désarmement nucléaire unilatéral de la France s'engage sous l'égide du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente). Cette campagne n'est contestée par personne, mais ceux qui la soutiennent sont engagés sur deux voies parallèles : dans l'une s'affirme la compatibilité avec les campagnes à caractère international ou général ; dans l'autre, il n'apparaît pas possible de promouvoir une campagne et une autre, tout à la fois, d'autant que rien n'indique que la signature d'une convention d'élimination des armes nucléaires soit envisageable à court et moyen terme.

Le débat est nourri. Les priorités semblent différentes. Pourtant, cette différence, si elle est actuellement irréversible n'est ni irréductible ni insurmontable. Accepter des analyses différentes ne signifie pas les approuver toutes ! Nul ne possède la vérité, même s'il la recherche avec conviction.

Ceux qui doutent de l'efficacité et de l'utilité de campagnes visant à obtenir la tenue d'une Convention internationale pour l'abolition des armes nucléaires, compte tenu des échecs constants que, jusqu'à présent, l'on a pu constater, ne sont pas fondés à proclamer qu'il en sera toujours ainsi ! Probabilité n'est pas certitude.

Ceux qui doutent de l'efficacité et de l'utilité d'une campagne qui, en France, viserait à obtenir la tenue d'un référendum d'initiative populaire, (compte tenu de l'état actuel du droit constitutionnel à propos d'une telle consultation, et à cause de l'inexistence d'une majorité permettant d'être satisfait et sur l'organisation et sur le résultat d'un tel référendum), ne sont pas, pour autant, fondés à proclamer que l'initiative est vouée définitivement à l'échec. Au terme d'un débat, un référendum peut signer, officiellement, le consensus obtenu.

C'est temps perdu et usure d'énergie que de séparer, au lieu de distinguer, les deux campagnes : celle qui, en France, interpelle les citoyens, partis et autorités politiques sur l'urgence d'un désarmement unilatéral, d'une part, et celle qui, en France, en Europe et ailleurs, interpelle l'opinion mondiale, les organisations antinucléaires et les États, sur l'urgence d'un engagement effectif pouvant conduire à un désarmement nucléaire généralisable, d'autre part.

3 - « Sortir du nucléaire » est une locution qui s'utilise dans toutes les situations !

Sortir du nucléaire civil va s'imposer, certes à des rythmes différents, mais de façon définitive partout où les risques pour les populations sont manifestes. Or, c'est le cas partout, à courte, moyenne ou longue échéance, si ne sont pas effectués, à temps, les démantèlements indispensables et si surtout l'on continue à accumuler des déchets non recyclables, dangereux et dont on ne sait que faire.

Sortir du nucléaire militaire, en France, est une exigence non séparable de l'abandon des centrales mais qui a, plus encore, un intérêt vital pour un pays qui n'a ni les moyens, ni les motifs, ni le droit éthique et politique d'entretenir une force aéroportée, sous-marine ou ensilée, laquelle, qui plus est, apparaît comme la manifestation obsolète, et vaine, d'une puissance internationale qui n'est plus.

Sortir du nucléaire, au XXIe siècle, partout où sont stockées les missiles, fait partie de la révolution technologique et planétaire rendue inévitable par les risques croissants liés à la prolifération, à la sophistication et à la maîtrise non totalement garantie d'armes aux effets incalculables sur une planète peuplée comme jamais au cours de l'histoire.

Autrement dit, tous ceux qui, avec des motivations ou des analyses diverses, se sont engagés dans un travail citoyen ne pouvant s'achever que par la réussite ou... la fin du monde, n'ont d'autre choix que de travailler en parallèle, puis converger. C'est le même point qui est visé ; c'est dans la même direction qu'il faut se déplacer pour agir.

L'énergie nucléaire, quel que soit l'usage qu'on en peut faire, est nuisible aux humains. L'affirmer, le prouver, en convaincre l'opinion française, européenne et planétaire est une nécessité dont l'urgence a été sous estimée du fait que, depuis la fin de la Guerre froide, les menaces semblaient s'être atténuées. Tchernobyl, en 1986, peu avant la chute du Mur de Berlin, n'a pas été pour rien dans l'effondrement de l'Union soviétique. Fukushima, en 2011, aura marqué un nouveau repère dans l'histoire des relations internationales. Que l'événement se soit produit au Japon, là où, à Hiroshima, a eu lieu le premier bombardement nucléaire, retentit comme un avertissement exceptionnel : l'énergie nucléaire déborde toutes les possibilités que les hommes peuvent rassembler pour la maîtriser.

4 – Nous n'avons plus des dizaines d'années devant nous !

Mohamed ElBaradei, pro-nucléaire, et ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), jusqu'en 2009, estime, dans Le Monde du 29 septembre 2011, que, « pour les cinquante prochaines années, on aura besoin du nucléaire ». Il n'en affirme pas moins « qu'il va falloir améliorer la sureté pour les 430 réacteurs en exploitation dans le monde » et que « la transparence doit aussi porter sur les coûts réels, depuis la construction jusqu'au démantèlement ». Il va même jusqu'à conseiller de rassembler tous les déchets dans deux ou trois pays, dont la Russie ! Il est hostile à toute prolifération militaire mais le niveau des exigences qu'il considère comme incontournables, notamment en matière de contrôle que tout État devrait accepter, en matière civile comme militaire, revient, sauf à n'y rien comprendre, à dire que, nous avons, tout au plus, quelques dizaines d'années pour en finir avec l'ensemble des utilisations de l'énergie nucléaire !

L'association Négawatt ne donne, elle, pas plus de 25 ans pour supprimer les centrales nucléaires en France. Dans Le Monde du 30 septembre 2011, est annoncée la publication, début octobre, d'un scénario qui sera soumis aux candidats qui se présenteront, en 2012, devant les électeurs français. Convergent, ainsi, des initiatives qui ont en commun de vouloir que la question nucléaire cesse de passer aux oubliettes, alors que le sort du monde est en jeu, alors que le terrorisme des plus fanatisés des anti-occidentaux pourrait se porter vers des lieux sensibles pouvant enclencher des catastrophes, notamment par des agressions contre les centrales.

L'unité des luttes antinucléaires doit s'afficher. Qu'ils soient unilatéraux (en France et/ou ailleurs) ou internationaux, le désarmement et le démantèlement nucléaires font partie, désormais, des questions prioritaires qu'aucune organisation politique ne peut passer sous silence sous peine d'irresponsabilité et donc d'incompétence.

Aux citoyens de se saisir de cette question primordiale dont dépend l'avenir des générations qui vont nous succéder. Cela ne peut s'effectuer dans la contradiction et l'isolement. Que cette pré-occupation envahisse la scène politique, tant pour les élections législatives que présidentielles, (et probablement au-delà !), dépend de nous.

Le 30 septembre 2011

samedi 8 octobre 2011

La Hague : secrets et mensonges d'une usine nucléaire française

L'article des Inrocks, dont nous reproduisons, ici, de larges extraits, est : soit un tissu de contre vérités, et ses auteurs doivent être dénoncés, voire conduits devant les Tribunaux, soit, au contraire, un recueil d'informations, pour la plupart crédibles, et alors, c'est vraiment alarmant ! Si la preuve que le nucléaire "sûr" n'existe vraiment pas devient aussi évidente, alors, quels décideurs politiques vont nous sortir de là, vite ? Et, sinon, qu'allons-nous faire ?


Article Les Inrocks
Source :
Les Inrocks n°826 Paru le 28 Septembre 2011

À l’usine nucléaire de La Hague, un simple toit de tôle abrite dix mille tonnes de combustibles radioactifs. Une attaque terroriste pourrait provoquer un accident équivalant à six Tchernobyl. Où l’on apprend aussi que l’usine a caché pendant trente ans au gouvernement les causes du plus grave incident de son histoire.

*

C'est officiel, depuis le 15 septembre, le ministre de l'Industrie Eric Besson l'assure avec aplomb : "Le niveau de sûreté des centrales nucléaires du pays est élevé." Après Fukushima, l'Europe a imposé à chaque pays européen de soumettre ses installations nucléaires à des "stress tests". Areva a remis, il y a quinze jours, ses évaluations de sûreté dites "post-Fukushima" pour l'usine nucléaire de La Hague. Trois cents pages pour imaginer les "événements redoutés" ou les "agressions externes" d'origine accidentelle ou naturelle. Grand absent : le scénario terroriste.

Ce risque d'attentat, la Commission européenne voulait pourtant, en mars dernier, qu'il soit inclus dans les tests imposés aux installations nucléaires européennes. La France et l'Angleterre s'y sont opposées. La raison ? Un stress test de nos centrales sur la menace terroriste aurait mis au jour une grave vulnérabilité dont l'Etat français ne veut pas entendre parler : à côté des réacteurs nucléaires, les piscines d'eau réfrigérée dans lesquelles on entrepose le combustible nucléaire usé avant son retraitement ne bénéficient d'aucune protection solide contre les chutes d'avions ou une attaque terroriste.

Une enquête des Inrocks avait déjà pointé cette faille dans la sécurité de chaque centrale française. Preuve de ce talon d'Achille, dans les futurs réacteurs EPR, que Nicolas Sarkozy est en train de vendre en Asie, en Europe ou en Afrique, les piscines seront désormais intégrées sous une coque de béton antiaérienne.

Pour comprendre, il faut se rendre en pays normand et obtenir l'autorisation de visiter l'usine nucléaire de La Hague, dans le Cotentin. De l'extérieur, elle ressemble à un complexe pétrochimique, avec de hautes cheminées et des bâtiments couleur métal, ocre ou bleu ciel.À l'intérieur, c'est plutôt le vaisseau du capitaine Picard dans StarTrek. Une multitude d'horloges en plastique orange, de gros téléphones gris, des haut-parleurs grésillant des ordres et, partout, des dessins de consignes de sécurité semblables à de vieilles publicités éducatives.


La Hague n'est pas une centrale nucléaire. C'est une usine qui récupère le combustible usé des centrales pour en séparer les éléments radioactifs, tels le plutonium et l'uranium. Au fil du temps, se sont accumulées en son sein différentes casseroles radioactives : soixante tonnes d'oxyde de plutonium - l'élément le plus dangereux de la planète - enfouies dans le sol, divers produits de fission et surtout l'équivalent de cent huit coeurs de réacteurs nucléaires faisant trempette dans ses quatre piscines.

Du haut d'un perchoir en verre, vêtu d'une combinaison blanche intégrale et d'un masque à gaz porté à la ceinture au cas où, on domine l'immense piscine D, sorte de double bassin olympique d'un bleu fluo avec ses neuf mètres de fond, abritant, dans de multiples paniers, l'équivalent de deux mille tonnes de combustibles irradiés en train de refroidir. Cette piscine est la même que celle qui a été partiellement détruite à Fukushima, celle sur laquelle on a vu s'affairer des hélicoptères et des lances de pompiers pour empêcher qu'elle ne se vide. En vain. La piscine accolée au réacteur numéro 4 s'est mise à bouillir, son eau s'est évaporée, de l'hydrogène s'est formé, le toit a explosé et des éléments radioactifs ont commencé à se répandre. À La Hague, les combustibles entreposés sont moins "chauds" qu'à Fukushima car ils ont entre six et neuf ans, mais la plupart des éléments radioactifs qu'ils contiennent mettant des dizaines et pour certains des milliers d'années à disparaître, ils sont tout aussi dangereux en cas d'accident.

Autre différence avec les piscines nippones : dans l'eau des quatre piscines de La Hague bâties côte à côte, on compte dix mille tonnes de combustibles irradiés, soit la plus grande concentration de matière fissile au monde, le double de ce que contiennent les cinquante-huit centrales nucléaires de l'Hexagone.

Que se passerait-il si un avion se crashait sur l'une de ces piscines ? Si un terroriste posté à l'extérieur armait un lance-roquettes et tirait sur ces piscines? Leur toit est fait de la même tôle qui protège les légumes dans des hangars. Roland Jacquet, directeur adjoint de l'usine nucléaire, nous répond qu'un tir de missile ou une chute d'avion "est hautement improbable et même impossible. - Impossible, mais pourquoi ? - Parce que les bâtiments des piscines sont entourés de bâtiments de même taille, on ne les atteint pas comme ça." Nous reposons donc notre question au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), l'organisme d'État dépendant du Premier ministre responsable de la sécurité de La Hague.

"Nous ne souhaitons pas répondre à cette question, nous dit son porte-parole. - Pourquoi ? - Parce que nous ne voulons pas donner d'idées aux terroristes."

La question terroriste est donc bel et bien envisageable pour les piscines de La Hague. Il y a dix ans, des experts ont voulu s'attaquer à l'hypothèse d'un attentat. Le 11 septembre 2001 au matin, quatre avions détournés par Al-Qaeda s'écrasent dans les tours du World Trade Center, sur l'immeuble du Pentagone et dans une forêt de Pennsylvanie. Devant leur télé, Mycle Schneider et Yves Marignac, experts dans le nucléaire pour l'organisation Wise-Paris (service mondial d'information sur l'énergie et l'environnement), pensent instantanément... aux piscines de La Hague.

Missionnés par le bureau d'aide aux choix techniques et scientifiques (STOA) du Parlement européen, ils ont rédigé un rapport sur les rejets des usines nucléaires de La Hague et de Sellafield (Grande-Bretagne). Au lendemain de l'attentat du 11 Septembre, "peut-être par réflexe d'expertise citoyenne", dit aujourd'hui Yves Marignac, ils transgressent leur clause de confidentialité et rendent publique l'une des annexes de ce rapport. Une note qui tente justement d'évaluer les conséquences d'une chute d'avion de ligne sur l'une des quatre piscines de La Hague. Verdict : 66,7 fois Tchernobyl. La plus grande catastrophe nucléaire civile de tous les temps.

Tollé au gouvernement et dans le milieu nucléaire contre Wise-Paris. Anne Lauvergeon, qui dirige alors Areva, met en doute dans Paris Match le sérieux du rapport. "Wise, organisation antinucléaire notoire, a fait un calcul de coin de table." Les chercheurs de l'Institut de recherche et de sûreté du nucléaire (IRSN) - appui technique de l'Etat - sont mobilisés par le gouvernement pour démonter le rapport. Les experts établissent dans une note réservée à un cabinet ministériel que Wise s'est planté en dressant l'hypothèse qu'en cas de chute d'avion il serait libéré 100 % du césium 137, l'un des éléments radioactifs causant le plus de dégâts.

Selon eux, le relâchement ne dépasserait "probablement pas 10 %". Traduction, ce type d'accident n'excéderait que six à sept fois Tchernobyl... Si le gouvernement fait tout pour discréditer Wise-Paris, en coulisse la menace est prise au sérieux. Certains ministres en ont même des sueurs froides. À cette époque, le Vert Yves Cochet est ministre de l'Environnement. Il n'a toujours pas oublié l'épisode.

"Si un avion tombe sur les piscines de La Hague, avec les vents d'ouest qui ramènent toujours tout sur l'Ile-de-France, vous comme moi nous ne serons plus là pour en parler ! De plus, à l'époque, il faut se souvenir que dix jours après les attentats américains il y a eu l'explosion de l'usine AZF dont on ne savait pas, on ne sait toujours pas d'ailleurs, l'origine exacte. Même si nous ne sommes pas militaristes, on était un peu paranos", confesse aujourd'hui le député .

Quelques semaines après le 11 Septembre, un radar et des missiles Crotale antiaériens sont donc installés aux abords de l'usine nucléaire. Six mois plus tard, les coûteux missiles sont retirés. La direction de La Hague l'assure : "Il s'agissait d'une mesure d'urgence. Désormais, un dispositif pour le long terme a été mis en place." Lequel ? "Vous posez les bonnes questions, mais tout ce qui entoure La Hague est confidentiel, se contente de répondre le porte-parole du SGDSN. Si l'on vous répond, le niveau de sécurité pourrait en être affecté."

"Ce n'est pourtant pas compliqué, il faut construire une cathédrale de béton autour des piscines de La Hague. Ça fait plus de vingt ans que je le dis." L'homme qui propose cette solution a travaillé quinze ans dans ces piscines, il en a même dirigé la radioprotection. Ghislain Quetel n'a jamais compris comment un simple toit en tôle pouvait protéger l'équivalent de ce qu'il appelle "cent huit coeurs de réacteurs dormants". Ses alertes auprès de la direction ou des élus locaux ne lui ont valu que des reproches.

Mais depuis les images de Fukushima, une personnalité de poids s'est rajoutée dans le débat. Après avoir passé cinq jours le ventre noué devant son poste de télé, Jean-Paul Martin, ancien directeur adjoint de l'usine de La Hague et membre d'une association pronucléaire, le reconnaît : Fukushima l'a "personnellement ébranlé dans ses convictions". L'ingénieur, retraité du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), prend alors sa plume pour s'adresser au directeur de l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) et à Nicolas Sarkozy.

Selon Martin, la priorité est de déconcentrer les dix mille tonnes de combustibles entreposées dans les quatre piscines de La Hague. Le 20 mai dernier, le chef de cabinet du président de la République lui a diplomatiquement répondu être "sensible à sa démarche".

"Ce que je crains dans un avion, ce sont les moteurs lancés à 400 km/h car ce n'est pas le bardage métallique des piscines qui va l'arrêter, poursuit l'ingénieur, qui a participé au cours de sa carrière à la conception de sept réacteurs nucléaires différents. Là, ce serait vraiment un véritable accident. De mon avis, ce serait un petit Fukushima et alors, on ne pourra pas envoyer les gens pour intervenir parce que ça va cracher (de la radioactivité) fort !"

Sous le toit métallique de la piscine D, qui en ce vendredi 9 septembre a le mérite de nous protéger de l'épaisse brume du dehors, le directeur de la communication de l'usine tourne les talons. Avant de quitter la zone verte, couleur indiquant qu'on ne peut circuler sans nos chaussures blanches de cuisiniers et nos combinaisons, on passe un check-point. Pas de sortie définitive sans un contrôle de la radioactivité des anneaux métalliques du carnet de notes et de notre appareil photo. On passe nos mains et nos chaussures dans des machines marron beige du capitaine Picard, et c'est le retour à l'air libre.

vendredi 7 octobre 2011

De nouvelles armes nucléaires utilisées au XXIe siècle.


C'est toute une panoplie d'armes "de destruction massive" qui ont été utilisées, en 2004, pour prendre Falloujah, en Irak, et aussi pour prendre, avant, l'aéroport de Bagdad. Les armes à uranium appauvri ont aussi servi sur le champ de bataille, mais cela n'a été su que plus tard, ces armes n'ayant pas d'autres conséquences visibles que leur capacité de percement de parois.
Voir par exemple en 2009 : quinze fois plus de malformations de naissance à Falloujah, sur :

Des militaires américains, sur plusieurs champs de bataille (dont les Balkans), ont eux-mêmes été les victimes "collatérales" de ces armes qu'ils utilisaient. Ce qui a un peu filtré à l'époque c'est l'utilisation d'armes à énergie dirigée (des lasers embarqués sur des véhicules légers) avec des victimes "coupées en rondelles", et l'utilisation d'armes à micro-ondes :
Voir : Irak, polygone d’armes au laser, par Stefano Chiarini - Il Manifesto.

http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=3697

L'utilisation de projectiles au phosphore (utilisés, depuis, massivement, par Israël, lors de l'offensive de Gaza) laissait des victimes à peine reconnaissables :

À quand une enquête internationale ?
Quand les vrais responsables de ces crimes seront-ils jugés ?


À Fallouja, les "bébés monstres" soulèvent des questions sur les armes américaines utilisées en 2004

LEMONDE.FR 10.06.11

Un enfant irakien se tient devant les ruines d'une maison de Fallouja, détruite le 25 septembre 2004 par un raid américain.

"L'armée américaine a-t-elle utilisé l'arme nucléaire en Irak ?" C'est la surprenante question posée par France Info, le vendredi 10 juin. En partenariat avec Paris-Match, Angélique Férat, la correspondante de la radio dans la région, s'est rendue à Fallouja, une ville située à une cinquantaine de kilomètres de Bagdad. En avril, puis novembre 2004, la ville, bastion de l'insurrection sunnite, a été prise d'assaut et partiellement détruite par les forces américaines. Depuis, la ville connaît un nombre très élevé d'enfants malformés à la naissance, à tel point que selon la journaliste "chaque famille ou presque a son 'bébé-monstre' à Fallouja". Les autorités irakiennes refusent de se pencher sur le sujet et aucune statistique officielle n'existe.

La journaliste française n'est pas la première à se pencher sur le sort des enfants de la ville. Dès mai 2008, la chaîne de télévision britannique Sky News s'alarme du taux de malformations congénitales à Fallouja. Un responsable d'une ONG locale parle de 200 cas de malformations, pour la plupart congénitales et postérieures au bombardement de la ville. Le quotidien britannique The Guardian prend le relais en novembre 2009, avec deux articles, un portfolio et un reportage vidéo. Le journal, renseigné par une pédiatre de l'hôpital de Fallouja, fait alors état de 37 naissances de bébés malformés en à peine trois semaines. Une mère de famille est également interrogée. Aucun de ses trois enfants, âgés de trois à six ans, n'est capable de marcher. Ils ne peuvent pas non plus s'alimenter de manière autonome.

Pour les médecins de l'hôpital, c'est l'incompréhension. Faute de preuves, ils se refusent à établir un lien direct avec les combats qui ont touché la ville en 2004. Selon eux, de multiples facteurs peuvent expliquer ces malformations : la pollution de l'air, des radiations, des polluants chimiques, des médicaments utilisés pendant la grossesse, la malnutrition ou le stress de la mère. En mars 2010, c'est au tour d'un journaliste de la BBC de se rendre sur place. "Quand vous êtes là-bas, les évidences sont affreuses", témoigne-t-il, expliquant avoir vu la photographie d'un bébé à trois têtes.

"DANS DES CIRCONSTANCES NORMALES, LA PROBABILITÉ DE TELS PHÉNOMÈNES EST DE ZÉRO"

Ces différents reportages attirent l'attention de scientifiques. Christopher Busby, directeur de l'agence de consultation environnementale Green Audit et célèbre pour sa dénonciation des armes utilisant de l'uranium appauvri, se rend sur place et réalise avec Malak Hamdan et Entesar Ariabi une enquête, menée auprès de la population sur la base d'un questionnaire. Les résultats sont publiés en juillet 2010 dans l'International Journal of Environmental Research and Public Health. Sur la période 2006-2009, le taux de mortalité à Fallouja s'élèverait à 80 ‰, quand des pays voisins comme l'Égypte et la Jordanie affichent respectivement 19,8 et 17 ‰.

En décembre 2010, une une nouvelle étude réalisée par une autre équipe de chercheurs paraît dans le même périodique. Les résultats sont éloquents : à Fallouja, un nouveau-né a onze fois plus de "chances" de naître avec des malformations que dans le reste du monde. "Il est important de comprendre que dans des circonstances normales, la probabilité de tels phénomènes est de zéro" explique Mozhgan Savabieasfahani, l'un des auteurs du rapport. Pour le mois de mai 2010, 15 % des 547 enfants nés présentent de sérieuses déformations, tandis que 11 % sont nés prématurément (avant trente semaines de grossesse). Pour la première fois, ces conclusions mentionnent clairement la possibilité que les dommages génétiques observés soient liés à l'armement utilisé par les États-Unis, et notamment l'uranium appauvri.

Moins radioactif que l'uranium naturel, l'uranium appauvri est un métal lourd et très dense, utilisé pour fabriquer des têtes d'obus et améliorer leur capacité de perforation. Comme tous les métaux lourds, il présente un risque d'empoisonnement s'il est ingéré ou si des éclats pénètrent sous la peau. Régulièrement, son utilisation militaire est dénoncée mais aucun lien n'a jamais été établi avec les enfants de Fallouja.

"DE L'URANIUM ENRICHI ? C'EST ABSURDE"

Dans une dernière étude à paraître prochainement dans le journal scientifique britannique The Lancet, Christopher Busby va plus loin. Le Britannique a analysé des échantillons de terre, de cheveux, d'air et d'eau et affirme y avoir trouvé des traces d'uranium enrichi. "Utiliser de l'uranium enrichi sur un champs de bataille où se trouvent vos propres soldats, c'est absurde" s'étonne Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialiste des questions militaires et auteur du blog Secret défense. Contrairement à l'uranium appauvri, il est radioactif. Ses utilisations militaires sont la propulsion de sous-marins ou de portes-avions et les bombes nucléaires.

Le journaliste rappelle également qu'à l'époque où il était au pouvoir, Saddam Hussein, avait instrumentalisé le cas de jeunes enfants malformés. "Il emmenait des journalistes visiter des orphelinats où les enfants souffraient de malformations", se souvient-il. Dans l'attente de la publication de l'article par The Lancet et d'éventuelles preuves, Jean-Dominique Merchet appelle donc à la prudence.