mardi 31 janvier 2012

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“Rapport de la Cour des Comptes : le nucléaire a mangé son pain blanc”.

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La Cour des Comptes a rendu public un rapport sur les coûts du nucléaire qui fera date.

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1) Il fera date car il met en pièce le mythe du nucléaire bon marché. D’ores et déjà, les chiffres accumulés par la Cour sont sans appel : depuis des décennies, on a menti sur le coût réel du nucléaire. Celui-ci se trouve au minimum (et malgré les inconnues rappelées ci-dessous) à 20% plus cher que les évaluations précédentes. Et cela même si, de l’aveu même de la Cour, les coûts faramineux de la recherche nucléaire n’ont pas été intégrés dans ce surcoût.
2) Il fera date car il confirme le coût faramineux du nucléaire futur. Même si les chiffres du nucléaire passé ont été sous-évalués, il est clair aujourd’hui que le nucléaire a mangé son pain blanc. Dorénavant, qu’on choisisse de prolonger la durée de vie des réacteurs existants (en les sécurisant suite à Fukushima et en tentant de les faire tenir 10 à 20 ans de plus), ou qu’on choisisse de construire des EPR pour les remplacer, le coût du kWh produit sera près de deux fois plus élevés que le prix artificiel actuel.
3) Mais ce rapport fera aussi date en démontrant que sur de nombreux sujets cruciaux, même la Cour des Comptes ne sait pas chiffrer le coût réel du nucléaire. Qu’on en juge : qu’il s’agisse du coût des travaux de sécurité post-Fukushima (dont il faut rappeler qu’ils n’intègrent même pas la sécurité anti agression terroriste), du coût du démantèlement, du coût de la gestion des déchets, du coût de l’assurance en cas d’accident majeur en France… la Cour des Comptes reconnaît son incapacité à chiffrer et est obligée de s’en tenir à des hypothèses vagues.



Dans son rapport sur le coût de la filière nucléaire, la Cour des comptes souligne notamment le poids croissant des frais de maintenance.

La Cour des comptes a rendu public le 31 janvier 
son rapport sur le coût de la filière électronucléaire. (c) Afp

Dans un rapport très attendu rendu public mardi 31 janvier, la Cour des comptes met à plat les coûts de production de l’électricité nucléaire, qu’il s’agisse des dépenses d’investissement passées, des dépenses courantes (charges d’exploitation) ou des dépenses futures (démantèlement et gestion des combustibles et des déchets).

Ce rapport de près de 400 pages a été commandé par le Premier ministre le 17 mai 2011, quelques semaines après la catastrophe de Fukushima. Les chiffres ainsi posés doivent faire office de "boîte à outil" pour alimenter le débat sur le nucléaire, de façon dépassionnée. Principales conclusions.

- Le développement de la filière nucléaire a demandé de lourds investissements

- Les investissements publics et privés réalisés depuis les années 1970 dans l’électricité nucléaire en France s’élèvent selon la Cour des comptes à 228 milliards d'euros.
Cette somme comprend le montant de la construction des installations nécessaires à la production d'électricité nucléaire : 121 milliards d'euros (hors coût de Superphénix), dont 96 milliards pour la seule construction des 58 réacteurs, dont les plus anciens (Fessenheim 1 et 2) sont entrés en service en 1978.
Il comprend aussi les dépenses de recherche publique et privées depuis les années 1950, évaluées à 55 milliards d’euros, soit environ un milliard par an.

De plus, la production du Mégawattheure se révèle plus coûteuse qu'annoncé. Alors que le prix de la production de l’énergie nucléaire avait été évalué à 33,1 euros par la Commission Champsaur, la Cour des comptes propose de le réévaluer à hauteur de 49,5 euros.
Le coût de production par l’EPR de Flamanville pourrait pour sa part être compris "au minimum, entre 70 et 90 euros par MWh". Tout en sachant qu’il ne s’agit pas du coût de l’EPR "de série", qui reste très incertain et empêche ainsi la Cour de "donner et valider un calcul du coût de production d’un parc d’EPR".

Les coûts futurs de la filière sont appelés à grimper

Principale cause : l'évolution des dépenses de maintenance des installations, dont le montant annuel moyen devrait au minimum doubler sur la période 2011-2025 par rapport à 2010. Ils devraient s'élever à 3,7 milliards par an en moyenne entre 2011 et 2025, soit plus du double des montants dépensés entre 2008 et 2010.
Pour le reste, il existe de nombreuses incertitudes, aussi bien en matière de coût du démantèlement des installations nucléaires que de gestion à long terme des déchets radioactifs, par manque d'expérience et parce que certains choix ne sont pas encore arrêtés.
En ce qui concerne le démantèlement par exemple, les dépenses de fin de vie des 19 centrales sont estimées aujourd’hui à 18,4 millions d’euros mais la Cour des comptes précise dans sa synthèse :
Les devis ont très généralement tendance à augmenter quand les opérations se précisent, d’autant plus que les comparaisons internationales donnent des résultats très généralement supérieurs aux estimations d’EDF. "
En ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, la Cour des comptes pointe un écart notable entre le chiffrage d’EDF, 23 milliards d’euros actuellement, et celui de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), 36 milliards d’euros. Ces coûts ne devaient toutefois pas représenter plus de 5% des coûts de fin de vie.
Autre incertitude : la Cour a prévenu que le non-prolongement des réacteurs d'EDF au-delà de 40 ans nécessiterait "un effort très considérable d'investissement équivalent à la construction de 11 EPR d'ici 2022", ce qui lui parait "très peu probable, voire impossible". Elle ne s’avance pas pour autant sur des scénarios de mix-énergétiques.

Les provisions d’EDF sont opaques
Les provisions d’EDF sont sous-évaluées et opaques. Sur un total de 27,8 milliards d'euros de provisions pour opérations de fin de cycle devant être couvertes par des actifs dédiés, 18,2 milliards d'euros étaient couverts par des titres financiers côtés, au 31 décembre 2010, 2,7 milliards d'euros n’étaient pas censés être couverts à cette date et 6,9 milliards d'euros étaient constitués de couvertures croisées entre opérateurs du domaine nucléaire, y compris l’Etat. Un montage qui mérite d'être clarifié.

dimanche 22 janvier 2012

Jean Rostand, savant antinucléaire



Après le livre Pour en finir avec le nucléaire, paru en avril 2011, on réédite, on commente, et on met en valeur, des textes de Jean Rostand qui, non seulement ne parviennent pas à vieillir, mais redeviennent d'une très brûlante actualité. Voici : Jean Rostand, un biologiste contre le nucléaire ouvrage présenté par Jean Dubois, à paraître en février 2012, chez Berg International.


Présentation :

Hiroshima et Nagasaki, Maïak, Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, sans compter les incidents quasi quotidiens sur les sites nucléaires, témoignent de façon irréfutable des dangers incontrôlables et des dégâts irréparables inhérents à la technologie nucléaire. En outre, qu’elle soit civile ou militaire, l’industrie nucléaire cultive l’opacité, voire la dissimulation, particulièrement lors des accidents, sous couvert de secret défense et autres intérêts supérieurs de la nation…

Un mythe a eu la vie longue depuis Hiroshima : celui de l’innocuité génétique des effets des bombes atomiques sur les survivants. Il vole en éclats à la lumière de travaux récents portant sur les enfants des personnes irradiées suite à la catastrophe de Tchernobyl. Le nombre de victimes se chiffre en millions, ce qu’avait pressenti Jean Rostand, qui distinguant l’irradiation nucléaire de toutes les autres sortes de pollutions et accidents industriels, voyait dans l’accumulation de mutations dans le patrimoine génétique de l’humanité un très grand danger. À qui profite cette industrie dont les enjeux financiers sont considérables ?

L’humanité court à l’auto-destruction si nos sociétés persistent à dissocier le progrès technoscientifique de la sauvegarde des écosystèmes et du simple respect des êtres vivants, ou, plus généralement, les décisions techniques des considérations éthiques. Le changement dépendra, comme souvent, de la volonté des peuples, pas du consentement des États.

Une industrie incontournable ? Ce n’était pas le cas hier, qu’en est-il aujourd’hui et quelles priorités pour demain ?

Chercheur en biologie, naturaliste, écrivain, philosophe, Jean Rostand (1894–1977) se distinguait de ses pairs par son indépendance d’esprit et son engagement citoyen. Ses publications, notamment sur les dangers du nucléaire, sont caractérisées par un sens de l’éthique exemplaire. Sa rigueur et sa probité intellectuelles, son rejet du conformisme et sa méfiance envers les institutions l’amenèrent à s’opposer frontalement à la création de la « force de frappe française ». Ses textes sur le nucléaire ont été réunis ici par Alain Dubois, un de ses élèves, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, dont les travaux de recherche ont porté sur les anomalies, la génétique, l’évolution et la classification des batraciens et sur divers aspects de la théorie de la biologie.

Ce volume est préfacé par Jacques Testart, biologiste de la procréation, père scientifique du premier bébé éprouvette français né en 1982, directeur de recherches honoraire de l’INSERM et critique de sciences.

Un ouvrage de 208 pages au format 16 x 24 cm, ttc : 19 €
Jean Rostand, Un biologiste contre le nucléaire
textes choisis et commentés par Alain Dubois 
Préface de Jacques Testart

Jean Rostand (1894 - 1977)

mercredi 11 janvier 2012

En finir avec l'atome, c'est possible !

En finir avec le nucléaire (Seuil, 176 pages, 13 €).

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/04/en-finir-avec-l-atome-c-est-possible_1625544_3232.html
Par Benjamin Dessus et Bernard Laponche
 
Depuis toujours, en France, le nucléaire paraissait intouchable. Mais la catastrophe de Fukushima a changé la donne : même dans un pays très avancé, un accident majeur peut se produire ! Et toutes les interrogations jusqu'ici soigneusement évitées émergeaient à nouveau : le risque d'accident majeur bien entendu, mais aussi la production de déchets radioactifs très dangereux et la menace aggravée du risque de prolifération des armes nucléaires. Quand on prend conscience que quatre accidents majeurs de réacteur se sont produits au cours des trente dernières années (un à Tchernobyl et trois à Fukushima) sur un parc mondial de 450 réacteurs, alors que le calcul des probabilités officiel n'en "imagine" que 0,014 sur la même période (286 fois moins), on est en droit de se poser la question de la pertinence d'une sortie du nucléaire.

A cette évocation, les tenants du nucléaire apportent trois types d'arguments : l'"indépendance énergétique" de la France, la performance française en termes d'émissions de CO2, le très faible coût du kWh nucléaire. 

Celui de l'indépendance énergétique est tout simplement faux : la France est tout aussi dépendante pour son approvisionnement d'uranium qu'elle l'est pour le pétrole, le charbon et le gaz. Loin d'atteindre 50 %, notre indépendance énergétique réelle n'est que de 8,9 %. Les économies de CO2 de 40 % en France qui seraient réalisées grâce au nucléaire sont très surestimées, puisqu'elles supposent que toute notre électricité non nucléaire serait produite à partir du charbon, ce qui n'est guère vraisemblable. C'est plutôt autour de 20 % que se situe l'économie.

Le coût imbattable du nucléaire ? Oui, si l'on se contente de l'évaluation actuelle d'un nucléaire largement amorti (les réacteurs du parc français ont en moyenne 26 ans pour une durée de vie prévue de trente) en oubliant soigneusement de prendre en compte la réhabilitation indispensable de ce parc vieillissant, sa mise aux normes post-Fukushima et les frais de démantèlement des réacteurs mis au rebut, qui risquent de doubler ce coût. Même chose si l'on décide de passer à l'EPR, dont les coûts d'investissement atteignent chaque jour de nouveaux sommets.

La liste impressionnante des injonctions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans son rapport sur les évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima confirme la vulnérabilité des centrales nucléaires françaises, comme l'augmentation inévitable à venir du coût du kWh d'origine nucléaire, si l'on persistait dans cette voie. Reste l'argument d'autorité : comme nous dépendons à près de 80 % du nucléaire pour notre production d'électricité, nous ne pouvons pas faire autrement que de continuer... Les errements passés serviraient donc de justificatif à la poursuite, contre vents, marées et autres tsunamis !

Est-il possible en France de sortir du nucléaire en vingt ans comme le font les Allemands en dix ans, sans revenir à la bougie et sans ruiner notre pays ? La réponse est positive à condition de poser cette question dans le contexte de la transition énergétique indispensable au niveau mondial : il s'agit, en effet, de permettre à la fois le développement des sociétés émergentes et en développement, de restreindre au mieux nos ponctions de ressources fossiles et de diviser par deux les émissions mondiales de CO2.

La sobriété et l'efficacité énergétiques sont au coeur de la transition énergétique qui s'impose pour tous les pays de la planète, permettant la substitution progressive des énergies de stock (charbon, pétrole, gaz, uranium) par les énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire thermique, thermodynamique et photovoltaïque, biomasse, géothermie, énergies marines). Cette transition, au-delà des avantages énergétiques et environnementaux, est pourvoyeuse de nouvelles activités et d'emplois dans tous les territoires.

Dans cette logique, ce sont bien les économies d'électricité qui deviennent la première priorité dans une France qui n'a jamais fait le moindre effort dans ce domaine, au prétexte que l'électricité nucléaire était abondante et bon marché. Savez-vous que nos voisins allemands, qui en 1999 consommaient par habitant autant d'électricité "spécifique" (l'électroménager, l'éclairage, l'audiovisuel et l'informatique, à l'exclusion du chauffage des logements) que nous, en consommaient 27 % de moins que nous en 2009 ? Et puis il faut mettre fin le plus rapidement possible au chauffage électrique à effet joule (nos convecteurs) et les remplacer par des chauffages plus performants (pompes à chaleur, chaudières à condensation, etc.). Si nous le faisons, nos besoins d'électricité pourraient tomber à 392 TWh en 2020 et 338 TWh en 2030, alors qu'ils atteignent 516 TWh aujourd'hui.

Comment compenser alors la fermeture programmée des réacteurs nucléaires quand ils atteignent une trentaine d'années en moyenne ? En 2020, le nucléaire ne produirait plus pour les besoins des consommateurs français que 180 TWh contre 365 en 2009. Mais on s'aperçoit que les objectifs de production d'électricité renouvelable du Grenelle de l'environnement, qui atteignent 143 TWh en 2020, permettent de combler une grande part de la demande d'électricité restante. Il suffit de 70 TWh d'électricité d'origine gaz naturel pour boucler le bilan sans augmenter pour autant les émissions de CO2 du secteur électrique par rapport à la situation actuelle. En 2030, la poursuite du développement des énergies renouvelables permet de boucler le bilan électrique malgré l'absence de nucléaire, avec la même participation d'électricité à partir du gaz (70 TWh).

À quel coût ? Les calculs montrent que les deux options conduisent à des coûts du même ordre. Dans le scénario poursuite du nucléaire l'investissement indispensable dans de nouvelles centrales pèse sur le bilan. Dans le scénario de sortie, le total des investissements nécessaires à la réalisation des économies d'électricité, des investissements de production et de transport d'électricité est plus faible. Notons d'ailleurs que les incertitudes sur les coûts sont plus importantes dans le cas du maintien du nucléaire que dans celui de la sortie. Contrairement aux affirmations répétées de nos gouvernants, la sortie du nucléaire en une vingtaine d'années est donc possible sans drame. C'est une question de volonté collective.

Benjamin Dessus est ingénieur et économiste, il a travaillé à EDF, à l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie ;
Bernard Laponche est polytechnicien, docteur ès sciences, il a travaillé au Commissariat à l'énergie atomique.


En finir avec l'atome civil, c'est, a fortiori, rendre possible d'en finir avec l'atome militaire, ce qui est impensable, exclu, par ceux qui croient encore (et ils pèsent lourds dans l'opinion) que la grandeur de la France, sa place dans le monde, son influence, dépendent de sa capacité nucléaire civile et militaire. L'Allemagne démontre le contraire.

samedi 7 janvier 2012

Le débat s'entr'ouvre

Nicolas Sarkozy et François Hollande sont d'accord sur un point: la France doit conserver sa force de dissuasion nucléaire.  Est-ce à dire que tout débat est inutile? Non, répond Paul Quilès, l'ancien ministre de la Défense de François Mitterrand.
 

Portrait[Tribune] "On peut tout prouver, si les mots dont on se sert ne sont pas clairement définis." Cette affirmation du philosophe Alain éclaire d'une lumière crue certains affrontements qui scandent la vie politique. En évitant de définir les mots, en les rattachant à des concepts eux-mêmes mal définis, en ne précisant pas le contexte dans lequel on les utilise, effectivement, "on peut tout prouver". C'est ce qui se passe par exemple lorsque l'on aborde les questions de défense, sujet majeur dans un monde dangereux, instable et surarmé.  

Autrefois, c'est à dire avant novembre 1989, date de la chute du Mur de Berlin, la stratégie de dissuasion nucléaire était, par excellence, l'instrument de l'équilibre militaire entre l'Est et l'Ouest. La question de sa pertinence aurait dû se poser dès lors que la confrontation des blocs a pris fin. L'état des risques et des menaces n'a en effet aujourd'hui plus rien de commun avec ce qu'il était dans la période de la guerre froide. Les scénarios dans lesquels la Russie ou la Chine s'en prendraient aux intérêts vitaux d'une puissance occidentale sont, dans la conjoncture actuelle, parfaitement improbables. Quant aux menaces qui trouvent leur origine dans des conflits locaux, elles ne peuvent être contrecarrées par la menace d'emploi de l'arme nucléaire et se situent en conséquence dans les "angles morts" de la dissuasion. Les menaces terroristes relèvent de cette catégorie.  

La prolifération nucléaire constitue, en revanche, le principal risque pour la sécurité du monde, mais c'est plus par le multilatéralisme et les traités (comme le TNP) qu'on la combattra que par la dissuasion nucléaire. De plus, établir un lien entre la possession de l'arme nucléaire et "le statut de grande puissance", comme on l'entend souvent, peut inciter certains pays à tenter de s'en équiper, alors que le but du TNP[1], ratifié par la quasi-totalité des membres de l'ONU (189), est au contraire d'aller vers une disparition des armes nucléaires.  

Comment peut-on alors, loin de ces considérations, répéter sans sourciller que la dissuasion nucléaire est une sorte d'"assurance vie" ou qu'elle "garantit l'intégrité de notre pays"? En réalité, le débat sur de telles affirmations n'a pas lieu, pour la bonne raison que celles-ci ne sont pas soumises à un questionnement public, au-delà des échanges au sein des cercles d'initiés. Normal, nous dit-on, elles font l'objet d'un consensus. Ce fameux consensus (mot clé de la démonstration) est d'autant plus facile à invoquer qu'on n'en a jamais vérifié sérieusement l'existence, et qu'on ne sait pas sur quoi il porte exactement. Comme il n'y a jamais eu de débat, précédé par une information sérieuse et encore moins de consultation des Français, la boucle est ainsi bouclée. Selon l'expression populaire, "circulez, il n'y a rien à voir".
  
Ceux qui, sans même s'opposer frontalement au concept, souhaitent en parler et examiner la pertinence de certains choix sont vite traités d'incompétents, d'irresponsables, de démagogues, voire de mauvais Français. Quitte à courir ce risque, j'affirme qu'il ne faut pas avoir peur de traiter ces questions publiquement, en commençant, comme le suggérait le philosophe Alain, par définir clairement le sens des mots.  

Je ne prendrai qu'un exemple pour illustrer mon propos : celui de la "Force aérienne stratégique", qui représente 15% de la dissuasion française[2]. Historiquement, c'est la première à avoir été créée en 1964, en raison de la simplicité de mise en oeuvre du vecteur (un bombardier Mirage IVA) et de l'arme (la bombe AN-11). Aujourd'hui, 2 escadrons assurent 24h sur 24 l'alerte nucléaire avec le Rafale F3 ou le Mirage 2000K3 et le missile ASMP-A (capable de parcourir, une fois tiré à haute altitude une distance de 500 Km et de 100 Km à basse altitude), chargé d'une ogive nucléaire de 100 à 300 Kt !
 

À quoi est censée servir cette force ? On nous dit, dans un langage assez hermétique, qu'elle offrirait ""les alternatives, les complémentarités et les capacités d'adaptation" pour le chef de l'Etat[2], car elle permettrait d'être "visible et donc démonstrative". En clair, il s'agit d'une sorte de parade nucléaire avant ce que le Président Sarkozy appelle un "avertissement nucléaire". Le rôle de la composante aérienne serait donc de parader, d'impressionner un adversaire !   

Pour essayer de comprendre ce que cela signifie, il faut imaginer une flotte de bombardiers nucléaires décollant, avec toute la logistique nécessaire (ravitaillement en vol, chasseurs accompagnant le convoi pour le protéger, transmissions des données....), puis tournoyant dans le ciel face à l'ennemi, pendant que des discussions diplomatiques se déroulent en parallèle, avant de recevoir enfin l'ordre de tir[3] ! Au-delà de l'aspect manifestement peu crédible de ce scénario, on voit bien que l'existence même de la composante aérienne[4] décrédibilise la dissuasion, en suggérant que, pour faire reculer un adversaire, les SNLE et leurs missiles ne seraient pas assez dissuasifs !  

De plus, on ne voit pas contre qui cette composante pourrait être utilisée, sachant que sa conception en fait une arme de proximité géographique. Sans doute est-ce pour cette raison que, faute d'ennemi proche et d'intérêt militaire, les Britanniques ont abandonné leur composante aéroportée en 1997 et les Américains ont retiré la plus grande partie de leurs bombes B-61 stationnées en Europe.   

Cet exemple montre que, si l'on veut bien s'éloigner du discours officiel, il y a place pour des débats, qui doivent dépasser le cadre étriqué du monde passé et prendre en compte les évolutions positives du monde et les nouvelles aspirations au désarmement nucléaire de la Communauté internationale.  

Paul Quilès, ancien ministre de la Défense  


Notes:[1] TNP : Traité de Non Prolifération, signé le 1er juillet 1968. La conférence d'examen du TNP du 28 mai 2010 a élaboré un plan d'action sur les 3 volets du traité (désarmement, non prolifération, nucléaire civil) et prévu une réunion en 2012 sur la création au Moyen-Orient d'une ZEAN (Zone exempte d'armes nucléaires). 
[2] La force principale de la dissuasion française consiste en 4 SNLE (Sous-marins nucléaires lance engins). Cette composante océanique permet à la France de frapper en premier un adversaire étatique comme de répondre avec certitude à son attaque. Ces SNLE, en cours de modernisation, seront dotés chacun à l'horizon 2015 de 16 nouveaux missiles M51 (d'une portée de 9000 kms) et de nouvelles ogives nucléaires (TNO) d'une puissance de 100 Kt. De quoi dissuader tout adversaire situé sur n'importe quel point du globe. Une frappe d'un seul missile (avec 6 ogives au maximum) provoquerait des dégâts incommensurables, si l'on se souvient des 200 000 morts d'Hiroshima consécutifs à l'explosion d'une bombe... de 15 KT. 
[3] Le décret du 14 janvier 1964 définit le rôle exclusif du Président de la République quant à l'engagement de l'arme nucléaire. 
[4] Une frappe nucléaire avec une ogive de 300 KT serait équivalente à 20 fois celle d'Hiroshima. 
[5] Il y a 20 ans, on nous assurait qu'il fallait absolument 3 composantes (océanique, aérienne, terrestre....soit une par armée !) pour garantir la crédibilité de la dissuasion française. La composante terrestre (missiles du plateau d'Albion, Pluton, Hadès) a été démantelée au début des années 90. Aujourd'hui, les théoriciens du nucléaire affirment avec la même force que la dissuasion nécessite 2 composantes.

mercredi 4 janvier 2012

Le nucléaire civil est loin d'être mort !


 


  « Nous ne demandons pas ces investissements, nous les imposons », explique André-Paul Lacoste, le président de l'ASN, «nous jugeons que les installations ne peuvent continuer à fonctionner qu'avec ces investissements dans les délais que nous fixons. Sinon, on les arrêtera


Nucléaire : l'ASN impose un renforcement de la robustesse des centrales françaises "face à des situation extrêmes"

Dans un audit rendu public, mardi 3 janvier, l'Autorité de sûreté nucléaire ne demande la fermeture d'aucune centrale française après l'accident de Fukushima. Elle considère toutefois que la poursuite de leur exploitation nécessite d'augmenter "dans les meilleurs délais leur robustesse face à des situations extrêmes". Dans un entretien au "Monde", le président de l'ASN évoque la nécessité d'un "investissement massif" en faveur de la filière. 




Selon la lecture qu'on fait de l'avis remis au premier ministre, deux affirmations, contradictoires, sont fournies :

1 - Tout va bien. N'arrêtez aucune centrale. Maintenez en bon état. Payez. Même si ce sera très cher !
2 - Pour que tout continue à aller, il faut faire, vite, de considérables investissements. Sinon...

À vous de juger. La fin du nucléaire civil, dans les deux cas, n'est pas envisagée. Elle ne se produira que... si l'on n'a pas les crédits nécessaires. Donc, on n'investira pas en France suffisamment dans les énergies renouvelables. 

Vive les crises...

Carte des centrales nucléaires (©ASN)