En finir avec le nucléaire (Seuil, 176 pages, 13 €).
Le 04.01.12
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/04/en-finir-avec-l-atome-c-est-possible_1625544_3232.html
Par Benjamin Dessus et Bernard Laponche
Depuis toujours, en France, le nucléaire paraissait
intouchable. Mais la catastrophe de Fukushima a changé la donne : même
dans un pays très avancé, un accident majeur peut se produire ! Et
toutes les interrogations jusqu'ici soigneusement évitées émergeaient à
nouveau : le risque d'accident majeur bien entendu, mais aussi la
production de déchets radioactifs très dangereux et la menace aggravée
du risque de prolifération des armes nucléaires. Quand on prend
conscience que quatre accidents majeurs de réacteur se sont produits au
cours des trente dernières années (un à Tchernobyl et trois à Fukushima)
sur un parc mondial de 450 réacteurs, alors que le calcul des
probabilités officiel n'en "imagine" que 0,014 sur la même période (286
fois moins), on est en droit de se poser la question de la pertinence
d'une sortie du nucléaire.
A cette évocation, les tenants du nucléaire apportent trois types d'arguments : l'"indépendance énergétique" de la France, la performance française en termes d'émissions de CO2,
le très faible coût du kWh nucléaire.
Celui de l'indépendance
énergétique est tout simplement faux : la France est tout aussi
dépendante pour son approvisionnement d'uranium qu'elle l'est pour le
pétrole, le charbon et le gaz. Loin d'atteindre 50 %, notre indépendance
énergétique réelle n'est que de 8,9 %. Les économies de CO2 de 40 % en France qui seraient réalisées grâce au nucléaire sont très
surestimées, puisqu'elles supposent que toute notre électricité non
nucléaire serait produite à partir du charbon, ce qui n'est guère
vraisemblable. C'est plutôt autour de 20 % que se situe l'économie.
Le
coût imbattable du nucléaire ? Oui, si l'on se contente de l'évaluation
actuelle d'un nucléaire largement amorti (les réacteurs du parc français
ont en moyenne 26 ans pour une durée de vie prévue de trente) en
oubliant soigneusement de prendre en compte la réhabilitation
indispensable de ce parc vieillissant, sa mise aux normes post-Fukushima
et les frais de démantèlement des réacteurs mis au rebut, qui risquent
de doubler ce coût. Même chose si l'on décide de passer à l'EPR, dont
les coûts d'investissement atteignent chaque jour de nouveaux sommets.
La liste impressionnante des injonctions de l'Autorité de sûreté
nucléaire (ASN) dans son rapport sur les évaluations complémentaires de
sûreté post-Fukushima confirme la vulnérabilité des centrales nucléaires
françaises, comme l'augmentation inévitable à venir du coût du kWh
d'origine nucléaire, si l'on persistait dans cette voie. Reste
l'argument d'autorité : comme nous dépendons à près de 80 % du nucléaire
pour notre production d'électricité, nous ne pouvons pas faire
autrement que de continuer... Les errements passés serviraient donc de
justificatif à la poursuite, contre vents, marées et autres tsunamis !
Est-il possible en France de sortir du nucléaire en vingt ans comme
le font les Allemands en dix ans, sans revenir à la bougie et sans
ruiner notre pays ? La réponse est positive à condition de poser cette
question dans le contexte de la transition énergétique indispensable au
niveau mondial : il s'agit, en effet, de permettre à la fois le
développement des sociétés émergentes et en développement, de
restreindre au mieux nos ponctions de ressources fossiles et de diviser
par deux les émissions mondiales de CO2.
La sobriété et l'efficacité énergétiques sont au coeur de la
transition énergétique qui s'impose pour tous les pays de la planète,
permettant la substitution progressive des énergies de stock (charbon,
pétrole, gaz, uranium) par les énergies renouvelables (hydraulique,
éolien, solaire thermique, thermodynamique et photovoltaïque, biomasse,
géothermie, énergies marines). Cette transition, au-delà des avantages
énergétiques et environnementaux, est pourvoyeuse de nouvelles activités
et d'emplois dans tous les territoires.
Dans cette logique, ce sont bien les économies d'électricité qui
deviennent la première priorité dans une France qui n'a jamais fait le
moindre effort dans ce domaine, au prétexte que l'électricité nucléaire
était abondante et bon marché. Savez-vous que nos voisins allemands, qui
en 1999 consommaient par habitant autant d'électricité "spécifique"
(l'électroménager, l'éclairage, l'audiovisuel et l'informatique, à
l'exclusion du chauffage des logements) que nous, en consommaient 27 %
de moins que nous en 2009 ? Et puis il faut mettre fin le plus
rapidement possible au chauffage électrique à effet joule (nos
convecteurs) et les remplacer par des chauffages plus performants
(pompes à chaleur, chaudières à condensation, etc.). Si nous le faisons,
nos besoins d'électricité pourraient tomber à 392 TWh en 2020 et 338
TWh en 2030, alors qu'ils atteignent 516 TWh aujourd'hui.
Comment compenser alors la fermeture programmée des réacteurs
nucléaires quand ils atteignent une trentaine d'années en moyenne ? En
2020, le nucléaire ne produirait plus pour les besoins des consommateurs
français que 180 TWh contre 365 en 2009. Mais on s'aperçoit que les
objectifs de production d'électricité renouvelable du Grenelle de
l'environnement, qui atteignent 143 TWh en 2020, permettent de combler
une grande part de la demande d'électricité restante. Il suffit de 70
TWh d'électricité d'origine gaz naturel pour boucler le bilan sans
augmenter pour autant les émissions de CO2 du secteur
électrique par rapport à la situation actuelle. En 2030, la poursuite du
développement des énergies renouvelables permet de boucler le bilan
électrique malgré l'absence de nucléaire, avec la même participation
d'électricité à partir du gaz (70 TWh).
À quel coût ? Les calculs montrent que les deux options conduisent à
des coûts du même ordre. Dans le scénario poursuite du nucléaire
l'investissement indispensable dans de nouvelles centrales pèse sur le
bilan. Dans le scénario de sortie, le total des investissements
nécessaires à la réalisation des économies d'électricité, des
investissements de production et de transport d'électricité est plus
faible. Notons d'ailleurs que les incertitudes sur les coûts sont plus
importantes dans le cas du maintien du nucléaire que dans celui de la
sortie. Contrairement aux affirmations répétées de nos gouvernants, la
sortie du nucléaire en une vingtaine d'années est donc possible sans
drame. C'est une question de volonté collective.
Benjamin Dessus est ingénieur et économiste, il a travaillé à EDF, à l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie ;
Bernard Laponche est polytechnicien, docteur ès sciences, il a travaillé au Commissariat à l'énergie atomique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Mettre fin aussi à notre impuissance : agissons ensemble !