POUR L'ÉTERNITÉ...
Des milliers de tonnes de déchets radioactifs vont être enterrées dans une cavité, qui devra rester inviolée pendant 100 000 ans. Un défi insensé et risqué.
A l’ouest de la Finlande, sur la presqu’île d’Olkiluoto,
des ouvriers s’affairent à creuser un immense trou de 450 mètres
de profondeur, parcouru par cinq kilomètres de route.
Lorsqu’il sera terminé, en 2020, l’industrie nucléaire
finlandaise commencera alors à y enterrer des milliers de tonnes de
déchets radioactifs. Et quand cette besogne sera à son tour
achevée, 100 ans plus tard, la cavité sera scellée et devra
rester inviolée pendant 100 000 ans.
Un défi insensé, plein de risques, qui dépasse techniquement et
philosophiquement tout ce que l’homme a pu entreprendre jusque-là.
La route est longue, étroite, et sa platitude n’a d’égale
que sa monotonie. Elle serpente dans la région du Satakunta, à
travers des bordées de bouleaux et de sapins, et débouche tout
droit sur le Golfe
de Botnie, cette étendue d’eau qui sépare la Finlande de la
Suède.
Avant de bifurquer sur la gauche, pour rejoindre la route
nationale 8, puis encore sur la droite, quelques kilomètres plus
loin, en direction de la presqu’île d’Olkiluoto, on traverse la
bourgade d’Eurajoki.
« Onkalo », « la cave » en finnois
Eurajoki est une coquille sans charme particulier, Eurajoki
transpire l’ennui, mais Eurajoki est une commune prospère. Comme
tous ceux pour qui ce nom évoque quelque chose, je n’aurais jamais
entendu parler de ce petit bled grisâtre du sud-ouest de la Finlande
s’il n’était pas la municipalité qui chapeaute le complexe
nucléaire d’Olkiluoto.
Avec ses deux réacteurs en fonction depuis la fin des années 70,
et l’interminable construction de son EPR – le fameux réacteur
pressurisé européen d’Areva –, cette presqu’île constitue
l’un des centres névralgiques de la politique énergétique de la
Finlande.
Mais ce qui en fait un endroit à part sur le globe, c’est son
tombeau nucléaire, construit par l’entreprise Posiva. L’endroit
a été baptisé « Onkalo », « la cave » en
finnois. Des bataillons d’ouvriers étrangers, venus de toute
l’Europe, y ont creusé un immense trou à même la roche.
Selon le plan établi, à partir de 2020, l’industrie nucléaire
finlandaise y stockera tous les déchets produits par ses centrales
depuis 1996. L’opération de stockage est prévue pour durer
100 ans. Un siècle durant lequel, chaque semaine, un funeste
cortège de camions chargés de détritus à la toxicité inégalable
empruntera les cinq kilomètres de route souterraine qui mènent au
fond de la cave.
Ouverture interdite pendant 100 000 ans
Ces milliers de tonnes de déchets seront alors réparties dans
des trous creusés à l’intérieur d’une interminable galerie de
tunnels. Puis méticuleusement, les unes après les autres, ces
cavités seront rebouchées.
Enfin, quand cent ans plus tard, en 2120, les 4 500 orifices
imaginés seront repus du matériel mortifère, alors on refermera
cet édifice titanesque et on devra prétendre qu’il n’a jamais
existé.
C’est là que se profile le paradoxe qui fait toute la folie
d’Onkalo. Une fois la grotte obstruée, il s’agira de s’assurer
que personne n’ait l’idée saugrenue d’éventrer la roche de
nouveau.
Après tout, si nos prédécesseurs se sont entêtés à ouvrir le
tombeau égyptien de Toutânkhamon – un sanctuaire qui aurait dû
rester inviolé pour l’éternité –, quel message pourrait bien
être assez fort pour dissuader les générations futures d’explorer
à leur tour ce qui sera devenu un vestige du passé, d’une autre
civilisation peut-être ?
Une aberration qui sied à notre espèce
Les résidus radioactifs d’uranium et de plutonium dont il est
question devront demeurer sous terre pendant 100 000 ans.
Pas 100 ans. Pas 1 000 ans. Ici, les esprits narquois
pourraient alors avancer qu’à 2 000 ans près, on est
tout à fait en mal de certifier si un type répondant au nom de
Jésus Christ a réellement existé, quand bien même quatre autres
personnages tout aussi obscurs auraient chacun signé un ouvrage pour
perpétuer sa parole et ses actes.
Onkalo est donc l’histoire d’un trou creusé par notre espèce,
une cavité conçue à la seule fin de recevoir les restes d’un
procédé technologique pas complètement maîtrisé.
Une fable universelle de l’homme censé inventer un message pour
expliquer à son prochain qu’il ne faut pas ouvrir un cercueil dont
il lui confie la charge, sans avoir l’assurance que ce prochain
soit en mesure de décrypter ledit message.
En d’autres mots, une aberration qui a pourtant du sens, une
mécanique qui sied parfaitement à notre espèce. « Agissons
d’abord, on réfléchira plus tard », n’est jamais qu’une
maxime qui nous ressemble bien.
http://fr.news.yahoo.com/onkalo-voyage-tombeau-nucl%C3%A9aire-finlandais-075929471.html
Loïc H. Rechi | Journaliste et
Vincent Desailly | Photographe - Editeur sur RUE 89
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