vendredi 8 juillet 2011

En finir avec le diable nucléaire


Par Desmond Tutu

Éliminer les armes nucléaires est le vœu démocratique
de tous les peuples du monde. Et pourtant, aucune des nations qui possèdent l¹arme nucléaire ne semble se préparer à un avenir sans ces dispositifs terrifiants. En fait, ils gaspillent des milliards de dollars à moderniser leurs forces nucléaires, faisant une farce des engagements de désarmement de l'ONU. Si nous permettons à cette folie de persister, l¹utilisation éventuelle de ces instruments de terreur semble incontournable.

La crise de pouvoir nucléaire à la centrale de Fukushima au Japon a tristement rappelé que des évènements jugés improbables peuvent survenir et surviennent. Il aura fallu une immense tragédie pour convaincre certains dirigeants d¹agir pour éviter des calamités similaires dans d'autres réacteurs nucléaires ailleurs dans le monde. Mais il ne faudrait pas être obligé d'en arriver à un autre Hiroshima ou Nagasaki ­ou quelqu'autre plus grand désastre encore ­pour qu'enfin ils se réveillent et admettent l'urgente nécessité du désarmement nucléaire.

Cette semaine, les ministres des Affaires Étrangères de cinq nations
nucléaires ­ les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine ­ se retrouveront à Paris pour discuter des progrès dans l'application des engagements au désarmement nucléaire faits l'année dernière à la Conférence de révision du Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP.) Cela constituera le test de leur détermination à faire de la vision d'un avenir sans l¹arme nucléaire une réalité. S'ils envisagent sérieusement de prévenir la prolifération de ces armes monstrueuses ­ et en empêcher l¹utilisation ­ ils travailleront énergiquement et promptement pour les éliminer complètement. Un seul standard doit s'appliquer à tous les pays : zéro.

L'arme nucléaire est diabolique, quel que
soit celui qui la détient. L¹indicible souffrance humaine qu¹elle inflige est la même quelque soit les couleurs de son drapeau. Aussi longtemps que ces armes existent, la menace de leur utilisation ­ soit par accident, soit par pure folie ­ demeurera. Nous ne pouvons tolérer un système d¹apartheid nucléaire dans lequel il serait considéré légitime pour certains états de posséder l¹arme nucléaire, mais parfaitement inacceptable pour d¹autres qui chercheraient à l'acquérir. La paix et la sécurité dans le monde ne peuvent se fonder sur un tel double standard. Le TNP ne constitue pas un droit pour les cinq puissances nucléaires originelles de s¹accrocher à ces armes indéfiniment. La Cour Pénale Internationale a affirmé qu¹elles sont légalement dans l'obligation de négocier en toute bonne foi pour l¹élimination complète de leurs forces nucléaires.

Le nouvel accord START entre les États-Unis et la Russie, tout en constituant un pas dans la bonne direction, ne fera qu'écrémer la surface des amples arsenaux nucléaires des anciens ennemis de la guerre froide ­ qui représentent 95% du total global. En outre, les démarches de modernisation de ces derniers et d'autres pays ne peuvent se concilier avec leur prétendu soutien à un monde sans arme nucléaire. Il est particulièrement troublant que les États-Unis aient alloué 185 Milliards de dollars à l'augmentation de leur arsenal nucléaire dans la prochaine décennie, en supplément du budget normalement alloué annuellement à l'armement nucléaire de plus de 50 milliards de dollars. Tout aussi étonnant est la pression du Pentagone pour le développement de drones munis de têtes nucléaires ­ des bombes H à déclenchement par commande à distance.

La Russie aussi a révélé un plan de modernisation nucléaire massif, qui comprend le déploiement de divers nouveaux systèmes de vecteurs de déclenchement. Les décisionnaires politiques britanniques pendant ce temps, cherchent à renouveler la flotte vieillissante de sous-marins Trident de leur marine ­ pour un coût estimé de 76 milliards de livres sterling (121 milliards de dollars). S'ils en décidaient ainsi, ils rateront une opportunité historique de prendre la tête du désarmement nucléaire.

Chaque dollar investi dans le renforcement de l¹arsenal nucléaire d'un pays est un détournement des ressources de ses écoles, de ses hôpitaux, et autres services sociaux, et constitue un vol subi par es millions d'individus autour du monde qui ont faim ou se voient refuser l¹accès aux médecines de base. Plutôt que d'investir dans des armes de destruction massive, les gouvernements doivent allouer des ressources pour répondre aux besoins humains. L'unique obstacle auquel nous sommes confrontés dans l¹abolition des armes nucléaires est le manque de volonté politique, qui peut ­ et doit ­ être dépassé. Deux tiers des états membres de l'ONU ont appelé de leur vœux une convention sur les armes nucléaires, similaire aux traités existants pour la suppression d¹autres catégories d'armes particulièrement inhumaines et discriminantes, des armes biologiques et chimiques au mines antipersonnel et à fragmentation. Un tel traité est possible et doit être envisagé de manière urgente.

Il est vrai qu¹il est difficile de "désinventer" l'arme nucléaire, mais cela ne veut pas dire que le désarmement nucléaire est un rêve impossible. Mon propre pays, l¹Afrique du Sud, a abandonné son arsenal nucléaire dans les années 90, prenant conscience du fait qu'elle se porterait mieux sans ces armes. A peu près au même moment, les toutes récentes républiques du Belarus, du Kazakhstan, et d'Ukraine ont volontairement renoncé à leurs armes nucléaires avant de rejoindre le TNP. D'autres pays ont abandonné leurs programmes d'armement nucléaire, reconnaissant que rien de bien ne pouvait en sortir.

Les
réserves globales ont chuté de 68 000 têtes au plus fort de la guerre froide à 20 000 aujourd¹hui. Avec le temps, tous les gouvernement seront amenés d'admettre l'inhumanité fondamentale que constitue la menace de l¹anéantissement de villes entières par l¹arme nucléaire. Ils s'efforceront de faire de ce monde un monde sans de telles armes ­ dans lequel l¹autorité de la loi, et non celle de la force, règnera en suprématie, et la coopération sera considérée comme le meilleur garant de la paix internationale. Mais un tel monde ne sera possible que si tous, partout dans le monde, se lèvent et affrontent la folie nucléaire.

Desmond Tutu
Prix Nobel de la Paix et soutien de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires

).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mettre fin aussi à notre impuissance : agissons ensemble !