dimanche 17 juillet 2011

La farce !

Jean-Marie Muller, l'un des porte-parole actuels du Mouvement pour une alternative non-violente, et qui en fut l'un des principaux fondateurs, exprime ici, comme écrivain et philosophe engagé, ses vives réserves sur les conférences pour le désarmement nucléaire, qui ne débouchent jamais sur quoi que ce soit de tangible et, actuellement, souligne-t-il, "demander la signature d'une convention d'élimination totale des armes nucléaires relève d'une pieuse incantation. "

La « farce » des conférences sur le

désarmement nucléaire mondial

par Jean-Marie Muller *


À l’occasion de la Conférence des cinq puissances nucléaires (le P5) sur le suivi de la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 2010 qui s’est tenue à Paris les 30 juin et 1er juillet derniers, Desmond Tutu, archevêque émérite de la ville du Cap (Afrique du Sud) et Prix Nobel de la Paix, a publié un texte intitulé « En finir avec le diable nucléaire ». « Éliminer les armes nucléaires, écrit-il, est le vœu démocratique de tous les peuples du monde. Et, pourtant, aucune des nations qui possèdent l’arme nucléaire ne semble se préparer à un avenir sans ces dispositifs terrifiants. En fait, ils gaspillent des milliards de dollars à moderniser leurs forces nucléaires, faisant une farce des engagements de désarmement de l’ONU. Si nous permettons à cette folie de persister, l’utilisation éventuelle de ces instruments de terreur semble incontournable. (…) L’arme nucléaire est diabolique, quel que soit celui qui la détient. » Il dénonce avec force le « système d’apartheid nucléaire » dans lequel certains États s’arrogent le droit de posséder l’arme nucléaire tout en jugeant parfaitement inacceptable que d’autres cherchent à l’acquérir. « La paix et la sécurité dans le monde, précise-t-il, ne peuvent se fonder sur un tel double standard. » Il veut espérer que tous les gouvernements reconnaîtront « l’inhumanité fondamentale que constitue la menace de l’anéantissement de villes entières par l’arme nucléaire » et renonceront volontairement à leur arsenal nucléaire.

Il estime que la rencontre à Paris des cinq grandes puissances nucléaires « constituera le test de leur détermination de faire de la vision d’un avenir sans l’arme nucléaire une réalité ». Comme cela était prévisible, la conférence de Paris n’a été que le prolongement de la « farce » que Desmond Tutu dénonçait tout à l’heure. Le communiqué final, rédigé dans la plus parfaite langue de bois, est d’une indigence consternante. Ainsi, on peut y lire qu’afin d’« accroître l’efficacité des consultations nucléaires » au sein de leur groupe, les membres du P5 « ont convenu de poursuivre leurs travaux pour élaborer un glossaire partagé sur les définitions de termes clés dans le domaine nucléaire et ont mis en place un groupe spécialisé ». Ainsi donc, les cinq puissances nucléaires, plus de quarante ans après la signature du TNP qui leur faisait l’obligation de « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire », en sont à tenter de se mettre d’accord sur un vocabulaire commun pour accroître l’efficacité de leurs travaux ! Que voilà diantre une décision courageuse ! Qui pourrait douter qu’elle va totalement changer la donne dans les mois qui viennent ? En conclusion, les cinq puissances nucléaires assurent qu’ils « poursuivront leurs discussions et organiseront une troisième conférence du P5 dans le contexte du prochain Comité préparatoire du TNP. » Nous pouvons donc être assurés que la « farce » va continuer…

Le « monde sans armes nucléaires », appelé de ses vœux par le Président Obama dans son discours de Prague du 6 avril 2009, n’est certainement pas à l’ordre du jour. Au demeurant, Obama avait pris soin de préciser : « Ne vous méprenez pas : tant que ces armes existeront, nous conserverons un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire. » Pareil raisonnement est étrange : car enfin les armes existeront tant que les États-Unis ne renonceront pas à en posséder. Et dès lors que le Président américain affirme ne pas vouloir renoncer à ses armes nucléaires, de quel droit demande-t-il aux autres de renoncer à en acquérir ? Ne peuvent-ils pas tenir le même raisonnement : « Tant que ces armes existeront, nous ne renoncerons pas à les acquérir. » C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. Dans ces conditions, demander la signature d’une convention d’élimination totale des armes nucléaires relève d’une pieuse incantation.

Tout le monde est comptable du désarmement mondial et, quand tout le monde est comptable, personne ne se sent responsable. Paradoxalement, défendre le projet d’un désarmement universel arrange bien les affaires des Chefs d’États dotés de l’arme nucléaire. Car, dans la réalisation de ce projet, leur responsabilité personnelle se trouve diluée dans un processus multilatéral dans lequel chacun peut prétexter l’armement des autres pour justifier son propre armement. Tant que l’éradication totale des armes nucléaires restera un vœu pieu – et selon toute probabilité il le restera encore longtemps -, chacun pourra continuer tout à loisir à prétendre qu’il est de son droit et de son devoir d’assurer la sécurité de son peuple en maintenant et en modernisant ses propres armes.

L’arme nucléaire est essentiellement une arme nationale et la décision d’y renoncer ne peut être prise que par les citoyens. C’est une illusion d’attendre d’une conférence internationale que les représentants des États nucléaires décident d’un commun accord de renoncer à l’arme nucléaire. La décision de renoncer à l’arme nucléaire ne peut être qu’une décision unilatérale prise par chaque peuple. Au demeurant, Desmond Tutu précise que c’est par une décision unilatérale que son « propre pays, l’Afrique du Sud, a abandonné son arsenal nucléaire dans les années 90, prenant conscience du fait qu’il se porterait mieux sans ces armes. »

En tant que citoyens français, nous ne sommes pas directement responsables du désarmement mondial, mais nous le sommes entièrement du désarmement français. Dès lors, il nous appartient de rechercher la paix et la sécurité dans une France sans armes nucléaires. Tout le reste est littérature.

Il importe de prendre la mesure de l’ampleur de la tâche. Mais si les probabilités du désarmement nucléaire universel sont virtuelles, celles du désarmement nucléaire unilatéral de la France sont réelles.

Pour renverser le régime nucléaire, il faut que les citoyen(ne)s osent organiser un véritable coup d’État pacifique par lequel ils prennent le pouvoir. L’analyse d’Étienne de La Boétie vaut parfaitement pour l’État nucléaire : il n’a de pouvoir que grâce à la collaboration volontaire de ceux qui lui sont asservis. Il suffirait qu’ils décident de ne plus vouloir lui être assujettis pour qu’il s’effondre de lui-même.


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